Relocalisation industrielle : un bon choix stratégique
La première étape des « 24 heures de la relocalisation » s’est tenue à Mont-Saint-Aignan le 16 juin, au sein de Neoma Business School. L’occasion d’écouter les témoignages de chefs d’entreprise qui jouent la carte du Made in France… et pas seulement par souci patriotique.
« Je suis convaincu que c'est le bon moment pour relocaliser son activité. Et c'est possible ! Mais il faut être accompagné par des experts. Et c'est l'un des objectifs de cet évènement » Quelques jours après le lancement officiel à Paris de la grande tournée des 24 heures de la relocalisation, Frédéric Granotier, président de Rouen Normandy Invest, accueillait le 16 juin le premier des hackathons qui animeront la France ces prochaines semaines. Plus de 80 participants étaient inscrits à ces 24 heures, placées sous le signe de « l'intelligence collective », et lors desquelles, l'animateur les a encouragés à penser avec leur cerveau mais aussi « avec les tripes »...
L'enjeu est de taille. « La crise sanitaire a levé le voile sur la désindustrialisation massive de la France, a plaidé Carine Guillaud, présidente de Relocalisation.fr. Un quart des produits importés aujourd'hui en France sont identifiables comme des produits vulnérables. » On pense bien sûr aux masques et aux respirateurs qui ont fait défaut en 2020... Et depuis, les difficultés d'approvisionnement en composants et le coût des transports en sont de nouveaux exemples.
Géopolitique et économie
Bien sûr, la Chine, qui a déjà dépensé au moins 4 000 Milliards de Dollars pour déployer ses routes de la soie, est sur toutes les lèvres et dans toutes les têtes. « Ils ne veulent plus être l'usine du monde, explique Carine Guillaud. Ils veulent créer et garder la valeur ajoutée chez eux. » Une stratégie de « colonisation par la dette » affirme un participant, qui a par exemple conduit le pays à devenir maître du port du Pirée à Athènes ou de prendre solidement pied sur ceux de Gênes et de Trieste en Italie... « Les routes de la soie sont là pour diffuser des produits à forte valeur ajoutée qui sont une menace pour nos PME », assure Kaci Kebaïli, président-fondateur du groupe BBL.
Outre ces enjeux stratégiques de long terme, sur le court terme, les entreprises ont beaucoup à gagner à une relocalisation. « Entre la Chine et Le Havre, le prix du transport a été multiplié par dix », argumente Kaci Kebaïli. Dans le même temps le prix d'un camion reliant le Portugal et la France a augmenté de 35 %. Pour une liaison franco-française, la hausse n'est « que » de 20 %. « Il faut aussi intégrer le coût du stock, clame Kaci Kebaïli. J'invite les chefs d'entreprise à se pencher sur cette question. Il faut 42 jours pour faire venir un produit de Chine. On peut gagner 40 jours de stock en achetant ce produit en France ou dans les pays limitrophes. C'est de l'argent qu'on peut utiliser à d'autres choses. »
Frédéric Granotier, dirigeant de l'entreprise Lucibel, aujourd'hui basée à Barentin, ne dit pas autre chose : « si nous étions restés en Chine, nous n'aurions pas pu aller aussi vite sur l'innovation, et être dans le time to market. » Philippe Seille, en charge des partenariats locaux chez Décathlon complète : « il y aussi le problème des délais chinois, une instabilité qui peut créer des ruptures de chaînes » très préjudiciable.
Des chaînes locales de création de valeur
Chez Décathlon, justement, on cherche aussi à relocaliser -un peu-, la production… pour mieux répondre aux attentes du marché. « Demain, la façon dont nous vendrons nos produits devra être différente », insiste Philippe Seille. Pour lui, la création de valeur doit désormais se faire par d’autres leviers que la croissance, en basculant vers une économie de la fonctionnalité. « Ces nouvelles chaînes de création de valeur ne peuvent qu’être locales », poursuit Philippe Seille… Une démarche qu’a déjà largement expérimentée Toshiba à Dieppe, l’un des symboles seinomarins de la résistance à la délocalisation. L’entreprise a su modifier son modèle économique et elle est, aujourd’hui, le principal fournisseur de tuners d’encre noire à l’usine Toshiba en Chine. Mais elle a pour cela dû compter sur son réseau de sous-traitants… La relocalisation passe forcément par là et il est à craindre qu’il soit déjà trop tard pour certaines régions. Heureusement, la Seine-Maritime, elle, compte encore un tissu industriel solide.
Pour Aletheia Press, Benoit Delabre