Le marché des jeux et jouets en zone de turbulences
Les professionnels du secteur du jouet connaissent des situations disparates. Si côté industrie la situation semble saine, les petits commerces peinent parfois à s'approvisionner. Le point avec la FJP et Vincent Sardain, gérant de Jeux Aventure Ludik à Rouen.
Situé rue Saint Romain, à Rouen, Vincent Sardain gère depuis onze ans Jeux Aventure Ludik. Spécialiste des jeux traditionnels, il a plutôt bien traversé les confinements successifs, notamment grâce aux aides de l'Etat. Mais il est aujourd'hui confronté à une désorganisation de son activité. La sortie de la période de confinement a généré un élan de consommation mondiale, qui a bouleversé les circuits d'approvisionnement.
Si la majorité des références reste disponible dans la boutique, certains produits, dont des produits-phare pour Vincent Sardain, viennent à manquer. « En 2019, on a vendu cinq fois plus de puzzles dans le monde qu'en 2018 ! » détaille-il. À Noël 2020, ce sont les échecs qui ont subi une véritable razzia. « En deux mois, on a vendu l'équivalent de trois fois la production mondiale annuelle ! » Les stocks ont donc fondu et sont difficiles à reconstituer.
Des flux perturbés
Pourtant, du côté de la Fédération française des industries jouet-puériculture (FJP), on assure que, les craintes liées à la pénurie de composants et à la logistique mondiale sont écartées. « Il n'y a pas de pénurie chez nos membres », assure Christophe Drevet, le directeur général de la fédération qui compte plus de 80 adhérents représentant plus de 70 % du chiffre d’affaires du secteur. « Dès les mois d'avril-mai, des craintes se sont fait sentir et les industriels ont anticipé et pris les mesures nécessaires. » Un constat confirmé par les indicateurs : « Par rapport à septembre 2020, nous constatons une augmentation de 3 % du marché, et même 6 % par rapport à septembre 2019, qui est une année dite «normale » », note le directeur.
Mais ce qui est vrai pour les principaux industriels français ne l'est pas pour tous les fabricants et distributeurs. « Des jeux n'ont pas pu partir de Chine faute de cartons... », se désole Vincent Sardain. Pour d'autres marchés, comme les puzzles, l'Europe du Nord absorbe une grande partie des flux, laissant le commerçant rouennais sur sa faim. Même la production locale est exposée. Vincent Sardain évoque un concepteur de jeux qui travaille uniquement avec des petites entreprises à moins de 30 km de chez lui... mais qui a été confronté à une pénurie d'encre chez son imprimeur.
Des prix en hausse
Conséquence, les prix grimpent. « La matière première augmente, la main d’œuvre aussi, notamment en Chine. Et le transport aussi. Le prix d'un conteneur maritime est passé de 1 500 à 15 000 $ » résume le commerçant qui avance des hausses, dans sa boutique, de l'ordre de 5 à 10 %, au delà de l'inflation enregistrée sur le panier moyen. Du côté des industriels, on constate une hausse plus mesurée. « Une étude comparative sur 100 produits identiques relève une augmentation de 3 % de prix, entre octobre 2020 et octobre 2021 », note Christophe Drevet.
Vincent Sardain, lui, redoute une inflation bien plus marquée pour les mois à venir. « On s'en va vers des hausses de 15 %, voire 30 %. Il y a déjà des jeux qui sont passés de 36 à 54 €. » Ces tensions ne semblent pas vouloir s'atténuer de sitôt. « Pour les échecs, on espère être au carré en 2023 », estime, amer, Vincent Sardain. Et si les industriels abordent cette fin d'année en confiance, le commerçant rouennais, lui, reste indécis :« C'est l'inconnue totale. L'an dernier, on a battu des records. Cette année, ce pourrait être l'inverse. »
Pour Aletheia Press, Laetitia Brémont et Benoit Delabre