Recrutements : seniors, une manne de candidats inexploitée
Les jeunes retraités, désireux de travailler et de transmettre leur savoir-faire, constituent une immense réserve de talents disponibles. Pourtant, trop d’entreprises boudent ces candidats malgré un contexte de pénurie de main d’œuvre criant dans certains secteurs et l’allongement de l’âge du départ à la retraite qui se profile.
« Les seniors vont être les premières victimes des plans sociaux, plans de départ volontaires et ruptures conventionnelles dans les entreprises. La culture française est de privilégier le départ à la retraite des seniors plutôt que le départ de personnes plus jeunes », annonce Vincent Binetruy, directeur France du Top Employers Institute, organisme d’audit et de certification international en termes de pratiques RH. Fin 2021, seuls 56% des 55-64 ans occupaient un emploi, selon les chiffres de la Dares*, contre 37% en 2003. « C’est une évolution positive, note-t-il. Mais après l’amélioration de ces dernières années, on risque un retour en arrière. A partir de 50 ans, le taux de chômage double et la durée s’allonge », constate-t-il, avec 40 mois en moyenne, selon Pôle Emploi, contre moins de 24 mois pour les autres. D’autant que la crise a amplifié le phénomène.
Facilités de cumul emploi retraite
Avec un Français sur trois qui aura plus de 60 ans en 2035 et l’allongement de l’âge de la retraite – le ministre du Travail, Olivier Dussopt ayant rappelé qu’il sera mécaniquement proche de 64 ans à la fin du quinquennat–, la question de l’emploi des seniors revient sur le devant de la scène. « Les entreprises devront s’y conformer une fois que le gouvernement aura acté l’âge du départ », confirme Vincent Binetruy. Et ce, d’autant plus dans certains secteurs en mal de candidats. Ainsi, avec plus de 135 000 professionnels de santé qui manquaient à l'appel dans l'Hexagone à la fin de l'année 2021, selon Pôle Emploi, la ministre de la Santé, alors en place, Brigitte Bourguignon, a dévoilé le 8 juin une série de « premières mesures » pour tenter de calmer la crise aux urgences. Celles-ci prévoient, entre autres, de faire revenir certains personnels de santé retraités, comme cela avait été le cas pendant la crise du Covid-19. Ainsi, les soignants retraités « volontaires pour reprendre une activité » cet été bénéficieront de « facilités de cumul (avec) leur pension de retraite », pour faire face au manque de main d'œuvre. Le gouvernement envisage ainsi d'augmenter les plafonds de revenus et d'ouvrir de nouveaux droits à la retraite. Certains secteurs, comme les métiers techniques de l’industrie ou de l’énergie n’ont pas attendu de mesures gouvernementales pour faire le plein de seniors. Mais d’autres, pour éviter de faire revenir de jeunes retraités, préviennent la perte de compétences au sein de l’entreprise en investissant dans des programmes de knowledge management, pour être en capacité de formaliser les connaissances des personnes qui partent à la retraite.
Puiser dans les 100 000 cadres seniors au chômage
Poursuivant la même finalité, Gilles Gateau, directeur général de l'Agence pour l'emploi des cadres (Apec), a appelé, sur le plateau de BFM TV, à puiser chez les 100 000 cadres âgés de plus de 55 ans inscrits au chômage : « Ce sont des ressources et des compétences qu'on doit pouvoir utiliser justement pour aller vers ce plein emploi ». Mais pour l’heure, il exhorte les entreprises à adopter une autre posture vis-à-vis de ces candidats. « C'est le regard des recruteurs qu'il faut changer et aussi celui des cadres eux-mêmes », a-t-il expliqué. D’autant que l’Hexagone fait figure de mauvais élève : « La France est en retard en termes de taux d’emploi des 55-64 ans par rapport aux autres pays de l’OCDE, avec 52 à 56% de taux d’emploi des seniors, contre une moyenne au sein de l’OCDE à 61%, et des champions comme la Suède qui culmine à 76% » détaille Vincent Binetruy. Pour recruter ces seniors, les entreprises doivent être à leur écoute et « prendre en compte leurs besoins de flexibilité, en termes d’horaires ou d’organisation du travail », poursuit-il.
Freins psychologiques au recrutement
Si le gouvernement souhaite booster le recrutement des seniors dans certains secteurs, trop d’entreprises boudent encore ce public, jugé trop cher. Pour Vincent Binetruy, de nombreux freins demeurent, au premier rang desquels, des barrières qu’il juge avant tout psychologiques : « Ce sont plutôt des idées reçues : lenteur, fatigue, manque d’envie, coût, manque d’aisance avec les outils digitaux… » détaille-t-il. En parallèle, ils disposent de nombreux atouts, mis en avant par Anywr, entreprise spécialisée dans le recrutement international et la mobilité professionnelle, notamment leur expérience, leur opérationnalité immédiate grâce à leurs compétences spécifiques et leur rôle de «régulateur des relations sociales ». Vincent Binetruy cite trois de leurs atouts : l’expertise, la forte autonomie et la rapidité d’intégration. Et de conclure que « freins réels ou non, à des personnes seniors, les entreprises vont préférer embaucher de jeunes diplômés, quitte à en recruter plusieurs pour rajeunir leur pyramide des âges ». A son échelle, Top Employers, qui a certifié 94 entreprises françaises en 2021, constate que si, deux ans auparavant, 74% d’entre elles avaient engagé des programmes spécifiques à destination des seniors, seules 57% en ont mis en place, l’an passé. « Elles se désintéressent des seniors et ont basculé vers d’autres actions et d’autres minorités au détriment des programmes seniors, comme la parité homme/femme ou les minorités LGBT+ ». Une baisse au sein de l’Hexagone, qui n’est toutefois pas de même ampleur que la baisse au niveau européen où seulement 42% d’entreprises ont mis en oeuvre un tel programme, en 2021.
*Source : étude Dares du 29 décembre 2021
Charlotte DE SAINTIGNON