Pouvoir d’achat des ménages : la grande incompréhension
Alors que les statistiques montrent une hausse globale du pouvoir d’achat en France, les ménages ont au contraire le sentiment qu’il se dégrade. Eclairage.
Selon une enquête Odoxa réalisée au début du mois d’octobre, le pouvoir d’achat demeure un important sujet de préoccupation pour 90 % des répondants, d’autant que 75 % considèrent qu’il a baissé. Et l’on ne compte plus les cris d’alarme des associations caritatives, qui voient une dégradation des conditions de vie matérielles des personnes s’adressant à eux. Pourtant, selon les statistiques officielles de l’Insee, le pouvoir d’achat des ménages est en hausse d’une année sur l’autre et résiste malgré le contexte économique dégradé par la pandémie. L’Institut des Politiques Publiques (IPP), qui a évalué l’impact redistributif de l’ensemble des réformes socio-fiscales pérennes du quinquennat (chèque énergie, cotisations, prélèvements, allocation chômage, impôts, taxe d’habitation…), a du reste conclu à une augmentation du niveau de vie des Français, sauf pour les 5 % les plus modestes.
Revenus, prix et pouvoir d’achat
De manière simple, le pouvoir d’achat correspond à la quantité de biens et de services qu’un ménage peut acheter avec ses revenus, ce qui revient à dire qu’il dépend du niveau des revenus et de celui des prix. Dès lors, en simplifiant un peu, son évolution peut se mesurer comme la différence entre l’évolution des revenus des ménages et l’évolution des prix. C’est pourquoi si la hausse des revenus est inférieure à celle des prix, alors le pouvoir d’achat diminue.
Tout l’enjeu est donc de mesurer précisément les variables revenus et prix. Pour produire ses statistiques, l’Insee a ainsi choisi de s’appuyer sur le revenu disponible des ménages, c’est-à-dire les revenus d’activité (revenus du travail, du patrimoine) augmentés des prestations sociales reçues, et diminués des cotisations sociales et impôts directs versés. Et pour mesurer l’évolution des prix, l’institut de statistique utilise l’indice des prix à la consommation (IPC), qui basé sur l’évolution du prix d’un panier de biens et services, le célèbre panier de la ménagère, au sein duquel chaque produit est pondéré par son poids dans la dépense de consommation des ménages.
Structure des ménages et pouvoir d’achat
Afin de tenir compte des différences de structures familiales, le pouvoir d’achat est souvent calculé par unité de consommation. En effet, les besoins d’un ménage ne s’accroissent pas en stricte proportion de sa taille, dans la mesure où chacun peut profiter par exemple du téléviseur, du grille-pain ou de la machine à laver. L’on parle d’économies d’échelle au sein des ménages. Dès lors, le premier adulte du ménage compte pour 1 unité de consommation (UC), les autres personnes de 14 ans ou plus pour 0,5 UC et les enfants de moins de 14 ans pour 0,3 UC. Chemin faisant, si l’on définit le niveau de vie comme le revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation, alors ce niveau de vie est le même pour tous les individus d’un ménage donné.
Le ressenti des ménages
L’indice des prix à la consommation est construit sur le poids moyen des dépenses de consommation des ménages, mais en pratique il existe autant de structures de consommation qu’il y a de ménages, de sorte que les uns consacreront une part plus importante de leur budget à tel poste plutôt qu’à tel autre. En conséquence, une hausse importante des prix de certains types de produits peut alors objectivement peser plus lourdement sur certains ménages, alors même que le taux d’inflation moyen n’aura presque pas varié.
De plus, de très nombreuses dépenses résultent de contrats difficilement renégociables à court terme, que les ménages doivent régler en priorité : dépenses liées au logement, aux charges, aux remboursements de prêt immobilier, aux assurances obligatoires, aux services de télécommunication, aux impôts et taxes, etc. Ces dépenses pré-engagées ont vu leur part dans le budget des ménages doubler en 50 ans et représentent désormais près de 30 %, limitant d’autant le revenu arbitrable ! Et lorsque les prix de l’immobilier s’envolent, en raison notamment de la politique monétaire très expansionniste de la BCE, les ménages ressentent les remboursements d’emprunts dans leur budget alors qu’ils ne figurent pas dans le calcul de l’inflation, dans la mesure où il ne s’agit pas de consommation. En dernier ressort, les expériences de psychologie sociale ont mis au jour des comportements différenciés face aux variations de prix, subjectivité dont il ne faut cependant pas surestimer le poids.
Mais en définitive, n’est-ce pas d’abord la question des hausses de salaire qui se cache derrière le pouvoir d’achat ?