Politiques d’économies d’énergie : la fin de la société d’abondance ?
Pour faire face au risque de pénurie de ressources énergétiques cet hiver (électricité, gaz, pétrole), les gouvernements s’engagent, quasiment tous, dans des politiques d’économies d’énergie…
« Sobriété
énergétique », « chasse au gaspi », « économies
d’énergie »… Ces slogans entendus en boucle depuis
quelques semaines partout au sein de l’Union européenne (UE) ont
comme un goût de déjà-vu. C’est qu’ils rappellent
inévitablement les années 1970 et ses deux chocs pétroliers
(1973 et 1979), qui conduisirent les États européens à prendre des
politiques d’économie du pétrole, tout en cherchant des énergies
alternatives. Mais aujourd’hui, entre crise d’approvisionnement
en gaz russe, explosion des prix des ressources énergétiques,
problèmes sur les capacités de productions (maintenance sur les
centrales nucléaires, sécheresse compromettant la production
hydroélectrique…) et nécessité d’une transition écologique,
les politiques d’économies d’énergie prennent un tour
inquiétant dans une société européenne habituée à l’abondance
énergétique.
Un
hiver à haut risque
Pour
comprendre les enjeux de ces politiques d’économies, il faut
garder à l’esprit que l’UE est le troisième plus gros
consommateur d’énergie au monde en volume, derrière la Chine et
les États-Unis. Plus des deux tiers de l’énergie disponible y
sont encore d’origine fossile, malgré une tendance à la baisse :
pétrole (36 %), gaz (22 %) et charbon (11 %). La part
des énergies renouvelables progresse pour atteindre 22 % du mix
énergétique européen, loin encore des 40 % espérés d’ici
à 2030. L’un dans l’autre, l’UE a une forte dépendance
énergétique vis-à-vis du reste du monde et, en particulier, de la
Russie et du Proche-Orient.
Rien
d’étonnant donc à ce que l’envolée des prix des ressources
énergétiques pénalise lourdement l’économie européenne,
surtout que la Russie joue un jeu trouble dont elle seule maîtrise
les règles : réduction de l’approvisionnement en gaz de
certains pays, exigence de paiement en roubles, annonces plus ou
moins anxiogènes pour faire monter les cours du gaz, etc. La course
aux constitutions de réserves de gaz au sein de l’UE pour l’hiver
prend, depuis, des allures de course à l’échalote.
La
politique des petits et grands gestes
Extinction
des lumières des vitrines à 22h, climatisation limitée à 27 °C
(chauffage limité à 19 °C) dans les commerces et la plupart
des lieux recevant du public… L’Espagne est probablement le pays
qui aura pris les mesures d’économies d’énergie les plus
draconiennes à court terme. Encore que l’Allemagne n’est pas en
reste, puisqu’il est question, entre autres, de limiter le
chauffage des bureaux à 19 °C et d’éteindre les éclairages
publics pendant la nuit, afin de réduire la consommation de gaz de
2 % sur deux ans. Très dépendante au gaz russe, l’Allemagne
mise sur la construction de trois terminaux de gaz liquéfié (GNL)
pour diversifier son approvisionnement d’ici à 2024. L’énergie
est également au cœur de la campagne politique en Italie, chaque
formation politique y allant de ses idées pour faire face à la
pénurie d’énergie à venir, sachant que le gouvernement Draghi
avait déjà pris des mesures analogues à celles de l’Espagne.
Quant à la France, elle s’y prépare — avec retard — à grand
renfort de communication politique…
Au-delà
des mesures très médiatisées, les gouvernements incitent également
aux petits gestes individuels susceptibles de limiter la consommation
énergétique. Ainsi est-il notamment préconisé d’éteindre la
lumière en quittant une pièce, de couper son ordinateur en sortant
du bureau, etc. Bref, autant de comportements qui semblent pourtant
aller de soi, mais qui méritent visiblement d’être rappelés.
Le plan européen
Après
l’invasion russe en Ukraine, la Commission européenne a présenté
le plan REPowerEU
dont l’ambitieux objectif est de se passer totalement de gaz
russe à l’horizon 2027. Dans un deuxième temps, fin juillet,
les 27 se sont entendus sur un texte prévoyant que, entre le
1er août 2022 et le 31 mars 2023, chaque État devra
réduire volontairement sa consommation de gaz d’au moins 15 %
par rapport à la moyenne des cinq dernières années. Pour ce
faire, Bruxelles recommande d’abord de limiter le chauffage et la
climatisation dans les bâtiments publics ou commerciaux, mais
également d’inciter les citoyens à faire la chasse au gaspillage
d’énergie. L’effort sera, quoi qu’il en soit, partagé par les
entreprises, qui devront prévoir des plans d’adaptation en cas de
pénurie, afin d’assurer coûte que coûte l’approvisionnement en
gaz des agents économiques prioritaires (ménages, hôpitaux,
industries prioritaires…). Et en cas de pénurie grave, le Conseil
européen pourra rendre cet objectif de 15 % contraignant.
En tout état de cause, ce ne sont pas tant les pénuries d’énergie qui inquiètent les ménages, mais l’affolement des prix, en particulier ceux de l’électricité, du gaz et des carburants. Les gouvernements tentent, dans une certaine mesure, de limiter l’impact de cette inflation sur le budget des ménages, mais le pire est à venir lorsque la digue cédera. La fin de la société d’abondance énergétique sonnera-t-elle alors le début de la sobriété heureuse ou de la frugalité malheureuse ?