«Les entreprises bénéficient de ressources moindres pour rassurer leurs collaborateurs»
Le dispositif d’activité partielle sera prolongé jusqu’à l’été 2021. Un dispositif salutaire pour éviter les licenciements mais qui pose néanmoins la question de la dégradation du lien avec l’entreprise, et plus globalement du rapport au travail. Marie Bouny, directrice de la practice Performance Sociale au sein de LHH – division de The Adecco Group– apporte son expertise sur ce que doivent mettre en place les entreprises et managers pour maintenir le lien avec leurs salariés et retenir les talents.
Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire sur le plan social ?
La crise et les nouvelles règles sanitaires ont bouleversé l’organisation des entreprises, avec des mesures de distanciation physique, le télétravail contraint et la mise en place de l’activité partielle. Dans ce contexte sensible, les salariés sont confrontés à des contraintes inédites de nature à générer du stress ou de l’anxiété. Et notamment à une charge émotionnelle importante, liée à l’inquiétude face à l’incertitude sur l’évolution de l’épidémie, à la pérennité de leur activité et, à terme, de leur emploi. Ils doivent également faire face à une charge mentale renforcée : réorganisation de leurs activités et de leur vie personnelle, gestion de leurs enfants ou proches à charge, multiplication des activités à coordonner, appropriation des outils de travail à distance, etc. Ces risques peuvent être accrus chez ceux qui vivent isolés, sont dans une situation familiale complexe, ou ont des problèmes de santé ou de handicap. Face à ces nouveaux défis, les salariés voient leurs ressources disponibles fortement réduites. Le cadre de travail est «chamboulé», les temps de convivialité et de collaboration informelle réduits, l’articulation vie personnelle/ professionnelle plus poreuse.
Quelles bonnes pratiques doivent mettre en place les entreprises pour accompagner et rassurer leurs salariés ?
Couplée à la pratique d’un télétravail intensif, l’activité partielle peut fortement dégrader le collectif de travail et éloigner le salarié de l’entreprise. Il est particulièrement important pour les entreprises de se montrer agiles et de donner plus d’autonomie à chacun. Le rôle du management est alors central. Il est primordial de sensibiliser, soutenir et accompagner les managers. Ils ont besoin d’outils et de formations pour identifier les situations à risque et les signaux faibles, soutenir leurs collaborateurs et éviter les risques psychosociaux. Cela peut notamment passer par un soutien effectif, via des cellules d’écoute. Il est plus facile pour les collaborateurs de se confier à un professionnel extérieur à l’entreprise. Les actions du top management sont elles aussi essentielles pour établir des contacts directs avec leurs équipes et des communications régulières, a minima toutes les deux semaines. L’objectif : rappeler l’appartenance à l’entreprise, communiquer de manière transparente sur les résultats, les mesures engagées pour faire face à la crise et son projet d’avenir.
Quid de la fonction RH dans ces bonnes pratiques ?
La fonction RH, a été, pendant le confinement, au cœur des chantiers prioritaires tels que l’organisation du travail, la gestion des effectifs, la santé et la sécurité. S’y ajoutent aujourd’hui les questions de justice sociale, de maintien du lien entre salariés et entreprise et de rétention des talents. Sur ces différentes thématiques, elle peut actionner différents leviers. En matière de santé et de sécurité, ses actions doivent servir à protéger et rassurer les salariés qui se rendent sur site, tout en leur expliquant le décalage qu’il peut y avoir entre les lourdes exigences qui pèsent sur les entreprises par rapport aux contraintes moindres qu’ils peuvent observer dans leur vie personnelle, et qui rend de fait les locaux de l’entreprise moins attractifs.
Les RH peuvent également déployer des actions de qualité de vie au travail (QVT) qui consistent à améliorer les conditions de travail quotidiennes des collaborateurs. Mais, trop souvent, ces dernières restent de belles déclarations d’intention. Entamer une démarche participative, via des groupes de parole, permettrait pourtant simplement de faire émerger les contraintes que vivent les collaborateurs et leurs recommandations pour améliorer le quotidien. Autre grand chantier des RH, la politique de rémunération. La reconnaissance du travail peine, alors qu’elle est essentielle dans la période actuelle pour reconnaître la mobilisation inédite des équipes, maintenir l’engagement au travail à l’heure de la reprise et contribuer à prévenir les risques psychosociaux. In fine, sur toutes ces questions, le dialogue social dans l’entreprise sera au cœur de l’équilibre à trouver entre attentes sociales et contraintes économiques. Les négociations sur les effectifs et de potentielles ruptures de contrat de travail seront cependant compliquées.
Comment retenir les «talents» dans ces conditions délicates ?
Pendant le confinement les entreprises ont été prises de court et n’ont pas eu le temps de négocier sur le volet formation. Elles doivent, dorénavant et pendant cette période d’activité partielle, avoir des ambitions fortes sur ce volet et favoriser la montée en compétences et la mobilité de leurs collaborateurs. Elles peuvent donc profiter de l’activité partielle pour révéler certains talents inexploités de leurs collaborateurs, et par ce biais, développer leur performance économique et sociale, tout en confortant leur marque employeur. Au-delà de la formation, la politique de rémunération constitue toujours un grand levier pour attirer et retenir les talents. Pour être attractive, il faudrait revoir le système de rémunération variable –primes sur objectifs ou package de rémunération collective. De plus, à l’heure où le télétravail est devenu un nouveau mode d’organisation, le proposer est un impératif pour les entreprises, avec toute la confiance et l’autonomie qui font son succès. Dernier volet, qui revêt son importance avec cette crise sanitaire : les enjeux environnementaux. Ils figurent dans le top 3 des préoccupations des Français. Il appartient aux entreprises de s’inscrire dans l’accompagnement de la transition écologique, sans attendre de nouvelles négociations et normes internationales.
Charlotte DE SAINTIGNON