La grande dépression dans l’industrie automobile européenne

La baisse des ventes, une transition vers l’électrique difficile et une concurrence chinoise exacerbée menacent désormais la survie même du secteur automobile de l’Union européenne (UE).

(c) adobestock
(c) adobestock

Rien que depuis l’été, il ne se passe plus une semaine sans une annonce de restructuration sévère dans le secteur de l’automobile, de périodes de chômage technique, de suppressions de postes ou de fermetures d’usines. Mais c’est bien entendu en Allemagne, temple de l’automobile, que la crise fait actuellement le plus de ravages. Volkswagen a annoncé la fermeture de trois sites et une saignée de plusieurs dizaines de milliers d’emplois, tandis que de grands équipementiers tels Bosch, Valeo, Michelin, Continental, ZF, Schaeffler font face à une véritable hécatombe… Même le franco-italien STMicroelectronics, spécialiste des puces électroniques, cale avec le ralentissement des ventes de voitures électriques. L’automobile en Europe traverse assurément l’une des plus graves tempêtes de son histoire, sinon la pire !

Recul des ventes

Après la pandémie, le recul des ventes de véhicules neufs avait été imputé presque exclusivement aux tensions sur les approvisionnements en matériaux, dans la mesure où les chaînes logistiques avaient souffert des nombreuses restrictions et restructurations mondiales post-Covid. Mais depuis, les ventes demeurent poussives, même si une lecture cursive des chiffres mensuels laisse à penser le contraire. En effet, selon l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), en octobre 2024, les ventes de véhicules au sein de l’UE étaient en légère hausse sur un an, mais avec de très grandes disparités entre régions : -11 % en France, +6 % en Allemagne, -9,1 % en Italie. Alors que la même comparaison en septembre donne une tout autre vision de la situation : -11,1 % en France, -10,7 % en Italie et -7 % en Allemagne, pour une moyenne de -6,1 % au sein de l’UE.

Depuis quelque temps, le marché de l’automobile européen n’est en fait tiré que par le segment des hybrides, les clients cherchant à profiter du meilleur des deux mondes (thermique et électrique), tout en s’offrant du même coup une bonne conscience écologique. Et encore faudrait-il s’entendre sur ce que recouvre le qualificatif « hybride »…

Un virage mal négocié vers l’électrique

La Commission européenne cherche à réduire l’empreinte carbone des véhicules au travers d’une limitation progressive des émissions de CO2 par véhicule (et par kilomètre) et de l’interdiction de vente — à quelques dérogations près — de véhicules à moteur thermique neufs après 2035. Certes, l’objectif de développement durable est honorable, même s’il doit tout de même être nuancé, puisque l’impact environnemental d’un véhicule électrique est loin d’être nul entre besoins en terres rares — détenus essentiellement par la Chine — et recyclage des batteries polluantes. Mais, faut-il rappeler le retard criant dans le développement des infrastructures afférentes (bornes de rechargement, usine de batteries…) ? Faut-il également rappeler que le passage au tout électrique, pour peu qu’il soit viable, nécessitera forcément beaucoup moins de main-d’œuvre ?

Un temps tirées par des soutiens financiers plus ou moins généreux des États, les ventes de véhicules électriques sont à la peine au sein de l’UE, en particulier en Allemagne et en France où les contraintes budgétaires ont conduit à des retraits brutaux de ces aides publiques. Or, les véhicules électriques sont souvent onéreux, en raison principalement du coût élevé d’une batterie fiable et de longue durée. De plus, les constructeurs européens ont choisi, à tort, de privilégier le segment haut de gamme, afin de dégager au plus vite des marges confortables, alors que les classes moyennes recherchent avant tout un véhicule fiable à prix abordable. Les ménages n’auront, par conséquent, d’autre choix que de se tourner vers la concurrence chinoise.

La concurrence déloyale chinoise

Le développement du segment des véhicules électriques européens de moyenne gamme, déjà en retard par rapport à la Chine, subit de plein fouet la concurrence des constructeurs chinois. Ces derniers, après avoir conquis la part de lion de leur marché domestique au détriment des Européens, cherchent désormais à écouler leurs énormes surplus de production sur le marché européen. Les BYD, MG, Zeekr et autres constructeurs automobiles chinois ont bien l’intention de s’imposer avec des véhicules électriques de bonne qualité et beaucoup moins chers que leurs concurrents européens. Tout cela à la faveur de filières de production très intégrées et productives, le tout mâtiné d’importantes aides publiques de leur gouvernement.

Affolée par cette concurrence jugée déloyale, l’UE vient d’imposer un « droit compensateur à hauteur des aides reçues en Chine » sur les importations de véhicules électriques provenant de l’empire du Milieu, ce qui n’entamera pourtant que peu la compétitivité chinoise. Et rien n’assure que les clients européens, dont le pouvoir d’achat a été malmené depuis le retour de l’inflation, pourront s’offrir à court terme un véhicule électrique…

Un doute subsiste : l’UE a-t-elle pris toute la mesure du coût social de la crise de l’automobile ?