« Les entreprises s’orientent vers des profils capables de naviguer dans l’imprévisibilité »

Les entreprises qui prennent en compte la personnalité recrutent des candidats qui sont 40% plus performants et qui restent plus longtemps en poste. C’est ce que constate AssessFirst, leader dans la gestion prédictive des talents, travaillant avec 4 000 clients dans le monde. Emeric Kubiak, son directeur scientifique, apporte son éclairage sur l’importance de l’intégration des softs skills dans les process de recrutement.

Emeric Kubiak, directeur scientifique AssessFirst.
Emeric Kubiak, directeur scientifique AssessFirst.

Les soft skills occupent une place de plus en plus importante dans la recherche des recruteurs ?

Nous constatons une forte évolution de la prise en compte des soft skills dans les offres d’emploi. Plus qu’une simple tendance, cela prouve leur importance croissante dans le monde du travail. Les études scientifiques le montrent depuis des décennies : la personnalité, les motivations et la capacité d’adaptation et de raisonnement sont parmi les éléments les plus prédictifs de la réussite en poste. Ainsi, les compétences comportementales jouent un rôle clé dans la performance d’une entreprise. Depuis les années 2000, il y a une forte polarisation de l’emploi, avec d’un côté un fort recul des emplois routiniers et de l’autre une bascule vers des emplois non routiniers qui demandent plus d’adaptation, de créativité et de résilience. Cela s’explique par la transformation de la société et des besoins de entreprises. Celles-ci s’orientent donc de plus en plus vers des profils capables de naviguer dans l’imprévisibilité. Dans un monde du travail de plus en plus incertain, personne ne peut déterminer quelles seront les compétences techniques nécessaires dans cinq ans. Le meilleur pari à faire est donc de miser sur celles et ceux qui auront la capacité, mais aussi la motivation, de développer ces compétences, quand elles seront nécessaires.

Quelles compétences sont les plus recherchées sur LinkedIn par les recruteurs ?

La communication, le travail en équipe, le relationnel client, et enfin le leadership et la capacité à résoudre des problèmes complexes font partie des compétences les plus recherchées, selon l’analyse de plus d’un million d’offres d’emploi sur Linkedin*. Cela montre l’importance accrue de ces compétences plus « comportementales » dans les offres d’emploi.

Et les soft skills les plus demandés ?

Premier savoir-être le plus recherché, la capacité d’organisation, c’est-à-dire être méthodique et structurer le travail (72%). Ensuite, l’adaptabilité au changement et aux nouveaux défis (69%). Cela révèle une vraie transformation des attentes des employeurs et des valeurs qui structurent le travail. Enfin, l’ouverture aux autres, permettant d’être réceptif à leurs idées et contributions (64%). En outre, la capacité à travailler en équipe et à aider les autres, ou encore la ténacité et la persévérance face aux obstacles, l’autonomie sont d’autres compétences clés également recherchées par les recruteurs. Tous démontrent le besoin d’adaptation et de flexibilité à l’heure de modes de collaboration toujours plus poussés. Les compétences les plus prisées aujourd’hui, comme l’adaptabilité et le travail d’équipe, reflètent une tendance à privilégier les dynamiques collaboratives, bien qu’elles ne soient pas adaptées à tous les contextes professionnels. Ces résultats font échos à ceux du Forum Économique Mondial, qui montre que les compétences les plus demandées et les plus recherchées par les entreprises sont la pensée créative et analytique, la résilience et l’empathie.

Ces soft skills sont-ils recherchés dans tous les métiers ?

Ces compétences standards ne sont pas adaptées à tous les métiers. Les entreprises doivent donc distinguer désirabilité et utilité : même si un attribut de personnalité peut sembler désirable, il ne sera pas forcément utile pour faciliter la réussite d’un collaborateur dans toutes les situations – et pourrait même parfois être contre-productif. Il convient de contextualiser ces compétences aux exigences spécifiques d’un poste et de les adapter à la culture de l’entreprise et aux équipes. Par exemple, pour un poste de commercial, rechercher des personnes avec un fort leadership et un bon relationnel peut être judicieux, mais, pour un autre poste, cela peut être, au contraire, contre-productif. Il convient de déterminer, en fonction du job quels soft skills vont permettre d’être en réussite ou à l’inverse, lesquels vont être contre-productifs. Les recruteurs doivent aller au-delà du biais de désirabilité sociale qui nous fait aller naturellement vers les compétences qui nous semblent les plus désirables.

Vous constatez une évolution de ces soft skills ?

Certains évoluent plus vite en termes de demande. C’est notamment le cas de la pensée créative, qui augmente de 70%, ou de la capacité d’adaptation, qui connaît le plus gros boost en termes de demandes. Autres évolutions notables, la pensée analytique et la curiosité. Par ailleurs, on remarque que ces compétences sont de plus en plus prises en compte, aussi pour des métiers techniques. Penser que les soft skills sont secondaires dans certains domaines, en particulier ceux à haute spécialisation technique, serait en effet une erreur. Bien au contraire, ces compétences comportementales sont intrinsèques à la réussite de chaque fonction, y compris dans des métiers exigeants une expertise technique absolue.

Prenons l’exemple de la chirurgie : dans un bloc opératoire, la précision et la maîtrise technique sont effectivement primordiales, car chaque geste peut avoir des conséquences vitales. Cependant, la communication, la gestion du stress, et la capacité à collaborer efficacement avec une équipe multidisciplinaire sont tout aussi déterminantes pour le bon déroulement d’une intervention et la sécurité du patient. En réalité, les soft skills constituent le liant de la performance, même dans les rôles les plus techniques.

Comment les identifier et les évaluer chez les candidats ?

Cela ne peut pas être évalué lors d’un entretien car il est compliqué pour un être humain d’évaluer un autre être humain. Mieux vaut donc éviter de miser sur son intuition ou son feeling. En revanche, les questionnaires de personnalité, de motivation ou de raisonnement, basés sur une démarche scientifique rigoureuse, permettent d’être plus objectif. Ils permettent de positionner un candidat au regard d’un ensemble de dimensions, et facilitent la comparaison entre profils. Ainsi, les questionnaires psychométriques et tests cognitifs de raisonnement permettent de déceler s’il y a des points de décalage entre les compétences attendues par le recruteur et le profil du candidat.

*Etude basée sur l’analyse d’1,3 millions d'offres d'emploi postées sur LinkedIn et des modèles prédictifs créés par les clients d’AssessFirst en 2023 et 2024


Charlotte DE SAINTIGNON