Finances
Déficit public : rabotage des dépenses sociales en vue !
Face à la dégradation du déficit public à 5,5 % du PIB en 2023, le gouvernement s’apprête à annoncer des coupes claires dans les dépenses sociales avant, peut-être, d’augmenter les impôts, si le compte n’y est pas…
L’annonce d’un déficit public bien plus important que prévu a provoqué une onde de choc politique. Certes, plus personne n’accordait de crédit aux prévisions du dernier budget de l’État, ne serait-ce qu’en raison des hypothèses trop optimistes qui le sous-tendaient, mais cette dérive a néanmoins fait bondir le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, qui y voit un dérapage « important » et « très, très rare ». Faute de croissance suffisante en 2023 et 2024, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a donc choisi le rabot pour réduire le déficit public.
Les coupes, rebaptisées « économies » - pour tenter d’en amoindrir la connotation négative - ont d’abord porté sur les dépenses de l’État, pour 10 milliards d’euros, avec pour objectif (évanescent) de réduire le déficit sous la barre des 3 % du PIB, d’ici à 2027. Mais, depuis, avec les mauvaises nouvelles sur le front socio-économique, ce sont particulièrement les dépenses sociales qui sont dans le collimateur du gouvernement. « Nous devons remplacer l’État providence par l’État protecteur », résume lapidairement le ministre.
Poids important des dépenses sociales
Les dépenses publiques, qui incluent les dépenses de toutes les administrations (État, collectivités, Sécurité sociale et administrations publiques diverses), représentaient, en 2022, 58,1 % du PIB en France, contre 49,3 %, en moyenne, dans l’UE. Les prestations sociales et autres transferts sociaux en nature, souvent qualifiés simplement de dépenses sociales, en représentent bon an mal an la moitié, quel que soit le pays européen considéré. Ce n’est au fond que la traduction moderne de la célèbre loi de Wagner de 1863, économiste qui prédisait une augmentation tendancielle de la part des dépenses publiques dans le PIB, avec la hausse du niveau de vie. En effet, plus un pays se développe, plus la protection sociale (retraite, santé, chômage, famille, exclusion…) apparaît comme un prérequis pour pérenniser le système socio-économique, dans la mesure où ces dépenses permettent de couvrir les citoyens contre les conséquences financières des risques sociaux.
Mais cette protection sociale a un coût : 849 milliards d’euros de prestations sociales versées en 2022, soit 32,2 % du PIB de la France ! L’amélioration (temporaire, car déjà révolue) du marché de l’emploi et la fin des mesures exceptionnelles liées à la pandémie ont freiné la hausse des dépenses sociales, même si les revalorisations/créations de prestations en raison de l’inflation ont partiellement joué dans l’autre sens. Quoi qu’il en soit, la France caracole en tête des pays européens (avec l’Allemagne, l’Autriche et le Danemark) qui dépensent le plus pour la protection sociale, en pourcentage du PIB. Notons d’ailleurs que la seule signification valable de ce chiffre est que, en France, a été fait un choix politique de répondre collectivement, par le secteur public, aux besoins sociaux. Qu’on le veuille ou non, les mânes du jacobinisme planent toujours sur les politiques publiques en France…
20 milliards d’euros de coupes tous azimuts
Sabrer 20 milliards d’euros de dépenses sociales dans l’urgence, c’est le pari intrépide du gouvernement pour satisfaire tout à la fois les agences de notation, qui pourraient dégrader la note souveraine du pays, la Commission européenne, qui pourrait sanctionner la France pour déficit excessif, et enfin ses partenaires européens, qui s’impatientent face à des promesses sans cesse non tenues.
Pour ce faire, le gouvernement prend le risque de couper de manière indifférenciée dans les dépenses sociales, sans s’interroger sur la nature, l’efficacité et la nécessité des montants engagés. D’où une énième réforme de l’assurance-chômage, à contretemps, puisque la précédente n’a pas encore été digérée et que le marché de l’emploi se retourne. Il est aussi question de mieux cibler les remboursements pour les affections longue durée (ALD) et de réduire les coûts de transport sanitaire.
Mais, à ce stade, nul ne sait si les 20 milliards d’euros seront atteints, et encore moins s’ils seront suffisants pour rejoindre la trajectoire de réduction du déficit public. Le gouvernement ne semble du reste pas avoir abandonné l’idée de ponctionner l’Agirc-Arrco. Mais, osera-t-il toucher à nouveau aux retraites, dépenses sociales qui différencient pourtant le plus la France des autres pays européens ? De son côté, la Cour des comptes estime plutôt à 50 milliards d’euros les coupes nécessaires sur les trois prochaines années, pas uniquement dans les dépenses sociales. Un montant colossal, qui sera politiquement et socialement quasi impossible à atteindre, tant et si bien que des hausses d’impôts semblent inévitables, surtout pour les plus aisés, si l’on se fie aux bruits de couloir…
En définitive, il serait d’intérêt général de remettre à plat l’ensemble du système social sur ses deux versants, dépenses et recettes. Ce, afin d’aboutir à un consensus démocratique efficace sur la nature, le montant et le mode de financement des dépenses sociales. Hélas, ce processus est long, et politiquement peu rémunérateur…