De l’art de mobiliser le bas de laine des Français
A la fin de l’année 2021, le surplus d’épargne financière des ménages français depuis le début de la crise devrait atteindre 200 milliards d’euros. Une cagnotte que le gouvernement souhaiterait mobiliser pour financer la relance…
Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la crise liée à la covid-19 et les mesures prises pour y faire face ont conduit à une perte de revenu en France de plus de 190 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année 2020. Les administrations publiques, principalement l’État et la Sécurité sociale, en absorberont environ 66 %, les entreprises 30 %, les ménages et les entrepreneurs individuels 4 %. Dans ces conditions, le gouvernement français semble s’être converti au keynésianisme, dans la mesure où il a annoncé qu’il verrait d’un bon œil que les ménages consomment et investissent le surplus d’épargne financière constitué depuis 2020, afin de contribuer à la relance économique.
Le taux d’épargne des ménages à un niveau très élevé
Après un niveau record durant le confinement, l’épargne des ménages s’est naturellement réduite au troisième trimestre avec le rebond de la consommation. Hélas, cela ne compensera pas les pertes, d’autant qu’il y a déjà des signes d’essoufflement, en raison des nouvelles mesures drastiques prises depuis novembre 2020. Le taux d’épargne des ménages demeure toutefois au-dessus du niveau moyen de 2019 : 22,2 % en Allemagne, 18,8 % en France, 18,5 % aux États-Unis, 15,5 % en Italie, 15 % au Royaume-Uni et 12,8 % en Espagne ! Mais bien entendu, il existe de grandes disparités d’épargne entre les ménages, certains ne pouvant même pas y songer au vu de leurs faibles revenus…
Selon les projections de la Banque de France, le surplus d’épargne financière des ménages français, égal à la différence entre les flux d’épargne financière observés et les flux obtenus en prolongeant la tendance avant la pandémie, s’élèverait à environ 200 milliards d’euros. La mobilisation de cette épargne, qualifiée un peu vite d’épargne forcée, est ainsi censée soutenir naturellement la demande, tandis que le plan de relance est concentré quasi exclusivement sur l’offre.
L’aversion pour le risque
Pour comprendre comment cette épargne pourrait être dépensée, il ne faut pas négliger les comportements psychologiques des consommateurs et investisseurs. Or, selon l’indicateur synthétique calculé par l’Insee, en février, la confiance des ménages dans la situation économique demeure sous sa moyenne de longue période. La proportion de ceux estimant qu’il est opportun de faire des achats importants est certes stable, mais la part des ménages qui considèrent que le niveau de vie en France va s’améliorer au cours des 12 prochains mois baisse de nouveau.
L’on assiste également à une aggravation de la divergence entre, d’un côté, une tendance des ménages à épargner et de l’autre un taux d’investissement productif stagnant. C’est que les Français veulent plus que jamais placer leur argent dans des placements à risque faible, d’où l’engouement pour le livret A (26,4 milliards d’euros placés en 2020, deuxième meilleure année depuis sa création en 1818 !) et les placements simples en euros (120 milliards d’euros de liquidités dorment sur de simples comptes bancaires, en 2020). A contrario, l’assurance-vie, traditionnellement plébiscitée, souffre actuellement de la politique commerciale des assureurs consistant à vendre prioritairement les fonds en unités de compte, plus risqués.
En tout état de cause, même si d’aucuns veulent voir dans l’engouement, en 2019, pour les actions de la Française des jeux un signe d’une baisse de l’aversion des ménages français pour le risque, il n’en demeure pas moins que l’abondante masse d’épargne privée cherche avant tout des placements à faible risque, à un moment où les projets privés se font cependant rares. Ce qui renforce encore la tendance structurelle à la baisse des taux d’intérêt.
Le label « Relance »
Pour tenter néanmoins de débloquer l’épargne des ménages français, outre les incitations à la consommation, le gouvernement veut relancer l’investissement risqué. Pour ce faire, il a créé, en octobre 2019, le label « Relance », afin de leur permettre, entre autres, d’identifier les organismes de placement collectifs (OPC) qui s’engagent à apporter des fonds propres et quasi-fonds propres aux entreprises françaises, cotées ou non. Ces fonds, accessibles sur les contrats d’assurance-vie en unités de compte, les PER, les compte-titres et PEA, doivent aussi respecter les critères ESG (environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance), et sont au nombre de 133, au début du mois de février 2021.
Mais face à tant d’incertitudes en matière économique et sanitaire, il est difficile d’imaginer les ménages en train de dégarnir leur bas de laine. En coulisses, d’aucuns suggèrent alors de trouver un moyen de taxer ce surplus…