Croissance/ inflation : le dilemme des banques centrales
Alors que la Réserve fédérale resserre sa politique monétaire aux États-Unis, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé, le 14 avril, de rester l’arme au pied pour ne pas casser la croissance…
À l’issue de la réunion des gouverneurs de la BCE, le 14 avril, la présidente de l’institution, Christine Lagarde, a annoncé un statu quo concernant les taux d’intérêt directeurs, tout en précisant que « dans le contexte actuel de forte incertitude, le Conseil des gouverneurs n’écartera aucune option et conservera la progressivité et la flexibilité dans la conduite de la politique monétaire ». A contrario, la Banque centrale des États-Unis — la Réserve fédérale (Fed) — n’hésite plus à évoquer un resserrement de sa politique monétaire (accélération de la remontée des taux d’intérêt directeurs et réduction du bilan de l’institution).
Le mandat des banques centrales
L’Eurosystème, constitué de la BCE et des banques centrales nationales, a pour objectif principal de maintenir la stabilité des prix, même si les traités européens ajoutent que « sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union ». En pratique, cela se traduit, depuis juillet 2021, par « un objectif d’inflation symétrique fixé à 2 % à moyen terme », laissant de la sorte la possibilité d’une période transitoire d’inflation légèrement au-dessus de l’objectif.
Cependant, durant la dernière décennie, c’est plus contre la déflation que luttait la politique monétaire européenne. La situation actuelle, caractérisée par une hausse rapide des prix, relève par conséquent d’un choc aussi inattendu que soudain. C’est encore plus vrai aux États-Unis, englués dans une crise qui a conduit le président du Conseil des gouverneurs de la Fed, Jerome Powell, à faire son mea culpa pour avoir réagi avec retard à l’inflation. Il faut cependant noter que le mandat de la Fed, déterminé par le Congrès, est différent de celui de la BCE, dans la mesure où deux objectifs sont poursuivis : la stabilité des prix et le plein emploi. La Fed, poussée en cela par Donald Trump, puis Joe Biden, a d’abord privilégié l’activité et l’emploi depuis la pandémie, avant d’être contrainte de donner également des gages de sérieux sur la lutte contre l’inflation.
Inflation endogène ou exogène ?
Durant quelques mois, les banquiers centraux ont été persuadés que la hausse des prix n’était que temporaire et résultait, avant tout, des goulets d’étranglement découlant de la reprise concomitante de l’activité partout dans le monde. Or, force est de constater que le phénomène semble durer et même s’amplifier, notamment aux États-Unis. Le problème, comme l’affirmait l’ancien président de la Bundesbank Karl Otto Pöhl, est alors que « l’inflation, c’est comme le dentifrice, une fois sorti du tube, on peut difficilement l’y remettre. Ainsi, il vaut mieux ne pas appuyer trop fort sur le tube ».
Tout l’enjeu est donc de savoir si l’inflation provient avant tout de la hausse des salaires et des marges des entreprises (inflation endogène) ou de la hausse des prix des matières premières (inflation exogène). En effet, dans le premier cas, un resserrement de la politique monétaire est susceptible d’avoir une emprise sur l’inflation, alors qu’il n’y a rien à en attendre dans le second, puisqu’une hausse des taux d’intérêt directeurs ne fera pas baisser le prix des matières premières, en particulier le pétrole et le gaz…
Le dilemme croissance/inflation
Or, pour l’instant, l’inflation semble principalement exogène au sein de la zone euro. Certes, le taux d’inflation annuel de la zone euro est estimé à 7,5 % en mars 2022, contre 5,9 % en février, mais c’est très largement le prix de l’énergie qui en est la composante principale pour l’instant, contrairement aux États-Unis où l’inflation résulte aussi d’une forte hausse des salaires et des prix de production des entreprises. Mais les choses peuvent évoluer très vite, notamment si les salariés de la zone euro réclament des revalorisations salariales plus en phase avec les chiffres récents de l’inflation.
D’aucuns voudraient néanmoins que la BCE agisse de manière préventive contre ces effets de second tour liés aux salaires. C’est oublier qu’un resserrement trop important de la politique monétaire au sein de la zone euro est susceptible de mettre un coup d’arrêt à la l’activité économique, au moment même où celle-ci est déjà fortement affectée par les ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, les conséquences de la guerre en Ukraine et une évolution incertaine de la demande. Par ailleurs, une hausse importante des taux d’intérêt ou l’arrêt brutal des programmes d’achats d’actifs mettraient la dette publique de certains États européens sous pression… C’est pourquoi la BCE vient d’annoncer un arrêt progressif des achats nets mensuels de titres jusqu’au troisième trimestre 2022, tout en poursuivant les réinvestissements de ces fonds « aussi longtemps que nécessaire pour maintenir des conditions de liquidité favorables et un degré élevé de soutien monétaire ».
Les Banques centrales font donc face à un choix cornélien entre inflation et récession. D’où un attentisme dans la prise de décision, qui leur est désormais reproché…