Une rentrée masquée pour les entreprises
Face à l’épidémie de Covid-19, les autorités ont publié un nouveau protocole sanitaire pour la rentrée de septembre obligeant les salariés à porter un masque dans les espaces collectifs clos et recommandant le respect des mesures de distanciation physique et de limitation des flux de salariés sur leur lieu de travail.
Après consultation des partenaires sociaux fin août, le ministère du Travail a dévoilé un nouveau protocole sanitaire d’une vingtaine de pages applicable aux entreprises : le port du masque est désormais devenu obligatoire dans tous les espaces de travail «clos et partagés» des entreprises, y compris dans les salles de réunion, l’open space, les couloirs, les vestiaires ou encore dans les bureaux partagés. Interrogée le 4 septembre, Stéphanie Pauzat, vice-présidente déléguée de la CPME nationale, juge la nouvelle obligation «excessive, en tout cas aujourd’hui, au vu des chiffres de la pandémie. Nous aurions préféré un protocole moins généralisé et sur mesure en fonction des métiers et des situations de travail, en réintroduisant par exemple le système de jauge de 4 m² par personne, pour pouvoir ajuster en fonction de l’évolution de la pandémie».
Dégradation de la cohésion d’équipe
La vice-présidente pointe les nombreux désagréments liés à cette nouvelle obligation. Parmi eux, le fait de devoir modifier les règlements intérieurs de l’entreprise, avec convocation des CSE ( Comité social et économique) quand il y en a, et l’obligation de les envoyer à la Direccte et au Greffe des prudhommes. Autre point négatif, du côté des salariés cette fois, l’inconfort lié au port permanent du masque. «Cela les freine pour retourner sur leur lieu de travail». Au sein de sa propre entreprise – Stéphanie Pauzat est également présidente du groupe MilEclair spécialisé dans le nettoyage de locaux–, la dirigeante constate que le port du masque crée de la nervosité et de la distance entre les collaborateurs. «Nous ne sommes qu’une vingtaine au siège à Caen et je vois depuis quelques jours une dégradation du climat au sein de l’entreprise. Plus personne ne fréquente la cuisine, tous rentrent désormais déjeuner chez eux le midi. Dans les petites entreprises, il y a en temps normal une réelle proximité entre les salariés et de vrais échanges qui se créent. Or les nouvelles mesures sanitaires altèrent cette qualité de vie et cette convivialité». Si la dirigeante insiste sur la nécessité d’imposer aux salariés ces nouvelles règles sanitaires pour relancer l’activité économique, elle a également d’autres priorités : «Nous sommes mobilisés pour conserver et développer notre clientèle afin de pouvoir renouer avec les bénéfices».
Elle conseille néanmoins de dialoguer avec les salariés, via des notes de service, des newsletters, de l’affichage pour faire un maximum de pédagogie. De manière plus générale, la vice-présidente de la CPME craint que l’obligation ait un impact sur certains secteurs d’activité comme le commerce : «Le risque est qu’après avoir porté un masque toute la journée au travail, les gens n’aient plus envie de faire ensuite leur shopping masqués, en centre-ville».
Charge financière supplémentaire
Au-delà de ces multiples impacts sur la vie de l’entreprise, cette obligation n’est pas non plus anodine en termes financiers. Le surcoût des mesures sanitaires (masques, gel hydroalcoolique, désinfection des postes de travail, distanciation), qui incombe aux entreprises – le 18 août, la ministre du Travail avait annoncé que la mise en place de la généralisation du masque était de «la responsabilité de l’employeur», serait évalué à environ 100 euros par mois et par salarié. «C’est un budget non négligeable, même si le coût des masques a été divisé par deux depuis mai dernier », reconnaît Stéphanie Pauzat. Ainsi, pour son entreprise qui compte l’équivalent de 250 employés à temps plein, la chef d’entreprise prévoit un budget annuel de 26 000 euros rien que pour les masques. S’il existait jusqu’au 31 juillet dernier une subvention pour financer l’achat d’équipements de protection du COVID-19, celle-ci n’est aujourd’hui plus mobilisable. Cette subvention «Prévention Covid» de la Carsat destinée aux entreprises de 1 à 49 salariés et aux travailleurs indépendants correspondait à 50% de l’investissement hors taxes réalisé, tout en étant plafonné à 5 000 euros. «Cette mesure doit être renouvelée et élargie aux entreprises de plus de 50 salariés et doit pouvoir financer des montants plus conséquents», plaide Stéphanie Pauzat.
Dérogations ponctuelles ou temporaires
Si le salarié « n’a pas la possibilité de quitter son masque pendant toute la durée de la journée de travail», précise le ministère du Travail, certains peuvent se soustraire temporairement à cette nouvelle obligation, selon la situation géographique de l’entreprise. En zone verte, –zones à faible circulation du virus–, le masque pourra être retiré ponctuellement pendant la journée, soit on pourra le «ranger à certains moments de la journée et continuer son activité’», sous quatre conditions bien précises : le lieu de travail bénéfice d’une ventilation fonctionnelle ; des écrans de protection sont mis en place entre les postes ; des visières sont disponibles ; une politique de prévention, avec désignation d’un référent Covid, est prévue. A savoir que dans les TPE/PME, le chef d’entreprise suffit.
En zone orange, il sera possible d’enlever son masque temporairement si, en plus de toutes les conditions précédentes, l’entreprise bénéficie de grands locaux (sans autres précisions) et d’un extracteur d’air par le haut. En zone rouge, le masque devient facultatif si les critères précédents sont remplis, mais aussi si chaque personne bénéficie d’un espace de 4m² (soit 100m2 pour 25 personnes) dans un local équipé d’une ventilation mécanique. Dans le cas particulier des ateliers, le masque peut être remplacé par une visière s’il est possible de maintenir une distance physique suffisante. Enfin, il est facultatif en extérieur, sauf regroupement, et dans les bureaux individuels.
A juste titre, Stéphanie Pauzat s’interroge sur les contrôles qui risquent de s’accélérer dans les semaines à venir. « Que se passera-t-il si un contrôle survient et que le salarié a ôté temporairement son masque ? » Combien de temps est censée durer la pause ? Le protocole présente des difficultés d’interprétations », conclut-elle.
Charlotte De SAINTIGNON