« L’œuf est un produit anti-crise »
Avec la crise, les Français, déjà grands mangeurs d’œufs, se tournent encore plus vers cet aliment bon marché. Mais si la demande est là, la filière rencontre d’autres difficultés et a perdu sa place de producteur numéro 1 en Europe.
Quel est l’impact de la baisse actuelle du pouvoir d’achat sur la consommation d’œufs ?
L’œuf est un produit anti-crise : il s’agit de la protéine la moins chère du marché. De fait, sa consommation est en progression. Sur les deux premiers mois de l’année 2023, ses ventes en grande distribution ont même augmenté de +5,9 % en volume, par rapport à la même période l’année dernière. Plus de 9 ménages sur dix en achètent. Mais la demande évolue : les différentes catégories d’œufs ne connaissent pas le même succès. Ceux bio ont vu leur consommation baisser, à l’image des autres produits de ce type. Il est probable que les personnes ayant subi une contraction de leur pouvoir d’achat se sont tournées vers d’autres produits de qualité comparable. La catégorie des œufs en cage est également en décroissance. Mais cette tendance est compensée par la hausse croissance de la consommation d’œufs en sol et en plein air. Par ailleurs, les clients achètent majoritairement leurs œufs en grande surface. Et ils privilégient les marques distributeur qui représentent l’essentiel du marché.
Pourquoi la France a-t-elle perdu sa place de leader des producteurs d’œufs en Europe ?
La consommation d’œufs a beau augmenter, la filière est sous pression ! Nous cumulons plusieurs types de difficultés, en particulier d’ordre réglementaire et sanitaire.L’épidémie d’influenza aviari sévit partout, en France, mais aussi aux Pays-Bas, en Pologne, aux États-Unis… Depuis le début du mois de mars, nous n’avons pas eu de nouveaux cas, mais ce printemps, nous avons perdu 1,5 millions de poules pondeuses, et à l’automne dernier, 3 millions. Cette crise nous a valu de perdre notre souveraineté alimentaire en matière d’œufs : en 2021, nous étions le premier producteur d’œufs en Europe, et notre autonomie était de 102 %. A présent, elle est descendue à 96 %...La pression réglementaire pourrait aggraver encore cette situation. En effet, la directive européenne IED [sur les émissions industrielles] impose des normes, par exemple sur la qualité de l’air, destinées à réduire la pollution émise par certaines activités industrielles et agricoles, dont les élevages qui comptent plus de 40 000 poules. Il est envisagé d’abaisser ce seuil à 20 000. Cela imposerait des investissements inaccessibles pour ces exploitations de taille modeste, nombreuses en France.
Les associations végan ou écologistes se font très fortement entendre, aujourd’hui. Comment votre secteur prend-il en compte le bien-être animal ?
La filière est déjà très engagée dans une démarche volontaire concernant le bien-être animal. Mais sur le plan réglementaire, nous estimons qu’il faut en rester au statu quo. Cette année, une révision des règlements européens relatifs au bien-être animal est prévue et nous en redoutons les effets. Par exemple, sur le sujet des cages, nous sommes conscients du fait que leur fin est écrite. En France, déjà cela ne concerne plus que 25 % des poules pondeuses. Mais si on impose une interdiction totale de cette pratique, avec un délai de mise en application de la mesure trop brutal, des producteurs vont devoir fermer. Cela représentera une perte de 12 a 15 millions de poules pondeuses. Autant d’aliments qui seront importés…A cet égard, d’ailleurs, nous préconisons la mise en place de clauses commerciales miroir concernant le bien-être animal, pour les importations d’œufs en Europe. Par ailleurs, pour nous, ce n’est pas aux associations de décider. Il revient au consommateur de choisir s’il veut privilégier le prix ou le bien-être animal, en particulier en ce moment de difficultés économiques.