Retour au bureau : « Les entreprises doivent tenir compte des contraintes personnelles de leurs collaborateurs »
Depuis le 1er septembre, c'est la fin du télétravail imposé par le gouvernement. Dirigeants, managers et services des ressources humaines (RH) doivent placer la remobilisation de leurs collaborateurs, qui peuvent manifester une réticence à reprendre le chemin du bureau, au cœur de leurs préoccupations. Revue des dernières tendances dans les entreprises, avec Vincent Binetruy, directeur France Top Employers Institute, organisme de certification international en pratiques RH.
Comment gérer au mieux le retour des salariés, afin d’accompagner la reprise de l’activité ?
En cette rentrée, se mêlent le blues habituel de la rentrée et le blues de devoir retourner au bureau plusieurs jours par semaine. Si le travail hybride n’a pas donné lieu à une démobilisation des salariés, la période a néanmoins engendré plus de fatigue et parfois de la démotivation. De leur côté, les RH ont été hyper-sollicitées, à la fois par les collaborateurs et par leur comité exécutif. Leur agenda est particulièrement chargé.
Comment définir de nouveaux modes de travail alliant objectifs business et pratiques RH d’excellence ?
Les entreprises qui accueillent à nouveau leurs collaborateurs après une longue période de télétravail doivent faire évoluer l’aménagement de leurs locaux. Elles risquent sinon d’être confrontées à des problématiques de remotivation de leurs collaborateurs. Ces derniers pouvant s’interroger sur l’utilité de revenir au bureau, s’ils reviennent pour travailler comme avant, ou comme ils le faisaient depuis leur domicile. Il faut donner du sens au retour au bureau. Les modes de travail ont évolué et les bureaux doivent, notamment, favoriser les travaux de collaboration et de créativité. Les entreprises ont intérêt à mettre en place des systèmes d’allocations de salles qui permettent de se réunir plus facilement en petits groupes, pour favoriser la créativité. Elles doivent, en parallèle, proposer des événements festifs et prévoir la rentrée des salariés comme un événement. Une filiale française d’une entreprise américaine qui vient de réintégrer ses collaborateurs sur site après 18 mois d’absence a, par exemple, raté l’opportunité de les réengager en n’organisant rien le jour J. Il ne s’agit pas forcément de prévoir des événements exceptionnels ou coûteux, les petites attentions, comme les petits-déjeuners ou kick-off, qui permettent aux collaborateurs de se retrouver fonctionnent aussi bien.
Quelles sont les autres priorités qui vont mobiliser les RH dans les mois à venir ?
Le corps social est en demande d’efforts de l’entreprise pour mieux partager les fruits de la reprise. A l’heure d’un risque d’inflation grandissant, ce sujet du partage de la valeur risque d’être en tête de liste des revendications. D’autant plus, si l’entreprise en question n’a pas cessé d’être rentable ou a distribué des dividendes à ses actionnaires. Ce partage constitue un bon levier pour éviter la démotivation et remobiliser les équipes au moment où nombre de métiers connaissent des pénuries en termes de main d’œuvre.
Comment construire les bases d’un management axé sur la qualité de vie au travail ?
Avec la crise, il y a eu une véritable inversion ces derniers mois. Il y a deux ans, la vie professionnelle s’immisçait dans la vie personnelle ; on reprochait alors à l’entreprise de prendre trop de place dans la vie des collaborateurs. Aujourd’hui, c’est la vie personnelle qui s’immisce dans la vie professionnelle, avec des collaborateurs qui n’hésitent pas à imposer leurs contraintes personnelles à l’entreprise. Celle-ci doit en tenir compte. Elle ne peut rester sourde à leurs demandes et doit se montrer souple et flexible sur les lieux et les horaires de travail. La difficulté pour le manager, pris entre le marteau et l’enclume, est de réussir à tenir compte d’injonctions contradictoires : d’un côté les attentes personnelles des collaborateurs, de l’autre les contraintes liées au business. Les RH doivent gérer de nouvelles réalités personnelles, comme ces collaborateurs qui se sont « auto-déménagés » ces 18 derniers mois. L’ANDRH (Association nationale des DRH) a ainsi révélé qu’un DRH sur trois fait face à des problématiques liées au déménagement de ses collaborateurs durant la crise sanitaire. Avec les accords signés au sein des entreprises imposant un nombre de jours de présence au bureau, se pose inévitablement la question de comment gérer ces collaborateurs qui ne peuvent pas venir sur place.
Quelles sont les innovations managériales les plus efficaces pour préserver la motivation des salariés ?
Les entreprises doivent se remettre en cause et favoriser la confiance, la prise d’autonomie et la transparence en termes de communication. De manière générale, elles doivent éviter d’infantiliser les salariés, en imaginant qu’ils ne sont capables d’entendre que les bonnes nouvelles. Ils préféreront découvrir les moins bonnes nouvelles via des canaux internes à l’entreprise plutôt que de l’apprendre par l’extérieur (presse, clients, fournisseurs…). De même, les entreprises qui seraient tentées de rétropédaler sur certains sujets et de revenir, notamment, sur du micro-management courent à leur perte. Avec le télétravail, il y a eu des avancées qui ont entériné des changements managériaux. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Cela ne veut pas dire que les managers vont moins contrôler, mais qu’ils vont contrôler différemment et mieux, plus sur la base d’objectifs que de présentéisme. Cela nécessite d’accompagner davantage les managers habitués au « command and control ».
Comment valoriser l’investissement d’un collaborateur ?
On assiste au retour d’une pratique disparue, la reconnaissance individuelle. Comme dans les usines, il y a vingt ans, où l’on fêtait l’employé du mois, les collaborateurs attendent une reconnaissance individuelle. En atteste la nouvelle fonctionnalité sur Linkedin qui permet de valoriser et de féliciter publiquement une personne de son entreprise. C’est l’employé du mois 2.0 ! Dans l’image sociale que chacun a à titre individuel, le fait d’être visible est important. Or, jusqu’à maintenant, lorsque l’on fête une réussite en entreprise, il s’agit souvent d’une réussite collective. Ce besoin est d’autant plus fort en période de crise, notamment, quand les collaborateurs ont le sentiment de faire plus que ce que l’entreprise attend d’eux.
Charlotte DE SAINTIGNON