Entreprises
Restructurations : l’enjeu de l’impact sur la santé mentale des salariés
Le cabinet Qualisocial, qui accompagne les organisations pour qu’elles prennent soin de leurs collaborateurs, alerte les entreprises sur les moyens de prévention à mettre en œuvre dans le cadre d’une restructuration.
« Le niveau de la santé mentale des Français s’est dégradé en janvier 2023 », prévient Camy Puech, président et fondateur de Qualisocial, cabinet qui accompagne les organisations à prendre soin de leurs collaborateurs via la QVT, l’accompagnement des changements et la prévention des risques psychosociaux (RPS). Ainsi, selon l'agence nationale de santé publique, Santé publique France, 17 % des Français montrent des signes d’un état dépressif [+7 points, par rapport au niveau hors épidémie] et 24 % d’un état anxieux [ +11points]. Ils sont également 69 % à déclarer avoir eu des problèmes de sommeil au cours des huit derniers jours [+19 points, par rapport au niveau hors épidémie] et 10 % à avoir eu des pensées suicidaires au cours de l’année [+5,5 points].
Qualisocial, qui a accompagné plus de 200 restructurations ces dix dernières années, pour des entreprises de plus de 50 salariés qui impliquent plus de 10 suppressions de poste, constate en parallèle, depuis début décembre, « une forte augmentation » des demandes concernant la préparation de projets de restructuration. « On s’interroge sur la question de savoir si le fait d’avoir divisé par deux les restructurations ces deux ou trois dernières années ne va pas occasionner un stock de restructurations ? En un mois et demi, nous avons enregistré l’équivalent d’un quart des demandes faites en 2019, indique Camy Puech. Les chiffres de la Banque de France confirment un rebond post Covid des défaillances d’entreprise. En 2023, on s’attend à une forte hausse ».
Incertitude et insécurité
Or, les restructurations accroîtraient la probabilité des RPS, alerte l’agence régionale de santé. Pour Camy Puech, ce sont des « situations complexes et difficiles à vivre pour les salariés et qui ont impact très lourd que l’on peut éviter ». Parce qu'elles impliquent des changements futurs avec l'incertitude que cela comporte, elles se traduisent par un sentiment d'insécurité qui peut impacter la santé des salariés. « On part du principe qu'un processus de restructuration conduit à une détérioration de la santé parce qu'elle génère une insécurité de l'emploi qui, à son tour, engendre des effets sur la santé », indique le rapport Hires*, qui fait encore référence sur le sujet des restructurations d’entreprise, tant pour l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) que pour le ministère du Travail. Les salariés seraient ainsi exposés à trois facteurs de risques principaux : la dégradation des rapports sociaux au travail (manque de reconnaissance, de soutien, etc.), l’insécurité de l’emploi et du travail (craintes et incertitudes sur l’avenir) et les conflits de valeur (perte de sens au travail, sentiment de travail inutile, etc.). A noter que l’insécurité de l’emploi n’affecte pas seulement ceux qui ont été licenciés, mais aussi les « rescapés » des réductions d'effectifs.
Des mesures de prévention suffisantes
Pour réduire les RPS, risques qui se manifestent par du stress, des violences internes ou externes, mal-être et souffrance au travail, épuisement professionnel ou des conduites addictives, les entreprises doivent augmenter les facteurs de protection (intensifier le sentiment d’appartenance, le soutien social, les marges de manœuvre des salariés, leur intérêt et le sens du travail, la cohérence des valeurs internes et externes) et diminuer les facteurs de risque liés à une réorganisation, une crise, une perte de sens, un déséquilibre familial ou une insécurité par rapport à l’emploi.
Depuis le 8 juin 2020, le Tribunal des conflits reconnaît la compétence des DREETS (Directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités) pour juger de la suffisance des mesures de prévention des risques occasionnés par des projets de restructuration. Ces dernières peuvent « refuser des projets par manque d’anticipation de l’impact humain que représente une restructuration », insiste Camy Puech. L’employeur ayant l’obligation de préserver la sécurité et de la santé de ses travailleurs, il doit, dans le cadre d’une restructuration, prévenir le risque sur les populations confrontées. Soit préparer le changement et anticiper ses impacts ; limiter l’impact de l’annonce et gérer l’urgent ; et enfin, préparer demain et accompagner la reconstruction d’une organisation.
Travailler main dans la main avec les CSE
Dans le détail, dans la phase de préparation, l’entreprise doit mettre à plat les raisons économiques, identifier et évaluer les risques pour les salariés et prévoir des mesures de protection, notamment pour les populations dites « à risque », comme les seniors qui ont une moins grande employabilité ou celles qui ont des précédents en termes de santé. Elle doit, dans un premier temps, partager l’information avec les partenaires sociaux et convoquer le CSE (Comité social et économique) qui a la possibilité de nommer un expert. « Il faut être ouvert avec ces élus et partager avec eux les risques identifiés au préalable ». L’entreprise peut également organiser des entretiens avec les managers et des ateliers avec les élus pour être challengé, définir un plan d’action managérial et former les managers. « La difficulté pour les managers étant de ne pas être informés des détails du projet, et donc de ne pas avoir d’éléments de réponse, le projet étant confidentiel, tout en étant confrontés à la souffrance d’autrui », pointe Camy Puech.
Pour annoncer une restructuration, le dirigeant doit « être clair, direct et partager sa vision et son projet », poursuit-il. Avant de préparer les départs, il peut proposer des actions de sensibilisation, avec des conférences ou ateliers et un service de conseil et de soutien psychologique individuel et collectif, sur site ou à distance, et éventuellement mettre en place des mesures de reclassement interne ou externe. Pour préparer « l’après », il se doit d’anticiper les problèmes de « surcharge de travail, de déséquilibre entre ressources et travail et les éventuelles pertes de sens », liste Camy Puech. Au-delà de se conformer aux obligations légales en matière de protection de la santé des individus, cela permet à l’entreprise d’anticiper les RPS et de limiter l’impact sur la santé, mais également de donner une vision et de garantir la faisabilité opérationnelle de l’opération et in fine de l’inscrire sur le long terme.
*Source : Rapport HIRES « La santé dans les restructurations : approches innovantes et recommandations de principe » 2009
Charlotte DE SAINTIGNON