Quand l’Allemagne s’enfonce dans la crise

Exportations freinées par le repli de la demande chinoise, industrie à la peine et moral des agents économiques en berne : le modèle économique allemand s’enlise dans une crise structurelle…

© Adobe Stock.
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« La situation est dramatiquement mauvaise ». C’est en ces termes que le ministre allemand de l’Économie, Robert Habeck, avait qualifié l’économie de son pays en début d’année. Il est vrai que les mauvaises nouvelles n’ont cessé de s’accumuler ces derniers mois sur le front économique : reflux plus fort que prévu de l’activité, production industrielle atone, exportations en repli, etc. Pendant un temps, le chancelier Olaf Scholz a pu nier l’évidence d’une crise, mais il a dû ensuite se résoudre à proposer un « pacte national », constitué notamment d’allégements fiscaux. C’est dire l’ampleur de la crise !

Après la pandémie de Covid-19 qui a fortement secoué le tissu économique et social de toute l’Union européenne (UE), l’Allemagne a dû composer avec la fin du gaz russe bon marché, qui était pourtant l’un des facteurs de la compétitivité de son industrie. Diversifier ses ressources énergétiques prendra cependant du temps et se heurtera à l’épineuse problématique de la transition écologique et énergétique. Toujours est-il qu’en attendant, l’industrie allemande — en particulier la chimie — subit une hausse de ses coûts de production, qu’il lui est difficile de faire passer en totalité dans ses prix de vente, en raison de la concurrence sur les marchés internationaux.

Hécatombe dans l’industrie automobile

Ce sont assurément les difficultés dans l’industrie automobile qui cristallisent l’attention. Et l’annonce par le PDG de Volkswagen de possibles fermetures d’usines sur le sol allemand — une première depuis la création de la marque en 1937 — prouve qu’à ce stade, rien ne semble plus en mesure de juguler l’hémorragie dans ce secteur. Après les annonces de licenciements — parfois massives — chez les équipementiers Bosch, Continental et surtout ZF (25 % de ses effectifs en Allemagne, d’ici à 2028), c’est désormais l’hécatombe qui est redoutée si le navire amiral Volkswagen, avec ses 300 000 employés en Allemagne, venait à sombrer. D’autant que, mois après mois, la production industrielle reste en berne, les carnets de commandes s’étiolent et, in fine, il est de plus en plus souvent question de fermetures de sites, de faillites et de délocalisations. Serait-ce le début d’une désindustrialisation massive en Allemagne dans l’automobile et les industries énergivores ?

Tous les espoirs de la Commission européenne semblent dès lors tournés vers la voiture électrique, présentée comme un nouvel eldorado à conquérir. Mais le passage au tout électrique, pour peu qu’il soit viable, nécessitera-t-il autant de main-d’œuvre ? L’UE sortira-t-elle victorieuse de ce nouveau champ de guerre économique avec la Chine, qui a décidé d’exporter ses énormes surplus de production sur le marché européen ? BYD, MG, Zeekr sont quelques noms de constructeurs automobiles chinois qui ont bien l’intention de s’imposer dans l’UE, avec des véhicules électriques de bonne qualité et beaucoup moins chers que leurs concurrents européens, à la faveur, notamment, des aides du gouvernement chinois. Un argument de poids pour des ménages européens dont le pouvoir d’achat reste très contraint, même si l’UE, affolée par ce qui s’apparente à une forme de concurrence déloyale, vient d’imposer des droits de douane allant jusqu’à 37,6 % sur ces importations.

Retournement du modèle allemand

Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que le moral des entrepreneurs et des ménages soit tendanciellement mal orienté, d’autant qu’il s’agit d’un ébranlement de tout le modèle économique allemand fondé au mitan des années 2000 avec les réformes Schröder. Celles-ci consistaient essentiellement à adosser la croissance allemande au commerce extérieur, en flexibilisant à outrance les emplois dans les services et en abaissant les coûts salariaux (réformes Hartz), afin de gagner en compétitivité-prix à l’export pour les produits industriels.

Tant et si bien, que cette désinflation compétitive, pourtant contraire aux traités européens, aura fait de l’Allemagne le premier exportateur mondial, au prix d’un sous-investissement chronique dans le pays et d’une dépendance croissante au marché chinois.

Or, lorsque la demande internationale chinoise reflue en raison des graves difficultés économiques et sociales rencontrées par l’empire du Milieu, les exportations allemandes accusent nécessairement le coup. Pire, elles sont désormais concurrencées par les productions chinoises elles-mêmes. Et ces dernières années, les revendications des salariés allemands, tant des services que de l’industrie, ont débouché sur une hausse importante du coût salarial unitaire, qui a entamé la compétitivité-coût du pays. Quant à la productivité par tête, elle n’est guère réjouissante, ce qui, associé au manque de main-d’œuvre qualifiée et au vieillissement de la population, oblitère la croissance.

Ainsi, les facteurs qui ont fait le miracle économique allemand se sont bel et bien retournés, provoquant un déraillement structurel de la locomotive allemande, pour le plus grand malheur de l’UE et de la monnaie unique…