Les enseignes redoutent des milliers de défaillances
Alors que les consommateurs retrouvent progressivement le chemin des boutiques et des restaurants, Procos, la fédération des enseignes, fait les comptes et réclame des mesures de relance.
Les commerçants n’aiment pas le changement. Tout ce qui pourrait déstabiliser leur environnement, leurs fournisseurs, leur clientèle, est d’instinct considéré comme une menace. Autant dire que la période qu’ils ont vécue depuis le mois de mars a chamboulé beaucoup de leurs certitudes. «Jamais on n’aurait imaginé une chose pareille», expliquent en substance les dirigeants de Procos, une fédération qui rassemble 260 enseignes du commerce spécialisé. A la mi-mars, la quasi-totalité des membres de Procos ont fermé boutique et leur chiffre d’affaires s’est logiquement effondré en avril, de 94%, un record absolu. La reprise s’est révélée très progressive, et l’activité, en juin, demeure 3% inférieure à celle du même mois de l’an dernier. Les affaires qui ne se sont pas faites au printemps ne se feront jamais. Pour l’ensemble du premier semestre, les pertes se chiffrent à 32% par rapport à 2019. Certains secteurs souffrent davantage que d’autres, la restauration, les loisirs et la culture, l’équipement de la personne. D’autres activités s’en sortent mieux, comme l’équipement de la maison, le sport ou la jardinerie.
Début juin, la fréquentation était presque revenue à la normale, en centre-ville comme dans les centres commerciaux, mais cela n’a pas duré, d’après les calculs de Stackr, une société de conseil dont l’une des spécialités consiste à compter les flux de piétons et de véhicules. Fin juin, après des premiers achats enthousiastes, les chalands ont de nouveau boudé les centres commerciaux ainsi que les centres des grandes villes. Le maintien du télétravail pour une partie des salariés et l’essor des réunions à distance tiennent la clientèle à l’écart des boutiques de centre-ville et des établissements de restauration.
Défaillances d’entreprises
Pendant ce temps, les achats sur Internet prospèrent. L’activité en ligne a été multipliée par deux ou trois pendant le confinement et ce développement exponentiel s’est poursuivi, en mai et en juin, pour certains secteurs, comme les loisirs et la culture, ou le sport. Mais cet engouement pour le commerce en ligne n’a vraiment profité «qu’aux géants du numérique», affirme Laurence Paganini, directrice générale de la marque de jeans Kaporal et nouvelle présidente de Procos, qui a remplacé François Feijoo, début juin. Au contraire des commerces de proximité ou des petits supermarchés, Amazon disposait de «capacités opérationnelles» lui permettant de passer outre les difficultés d’approvisionnement et de livraison.
Alors que plusieurs réseaux, comme Naf Naf, André, Camaïeu ou Conforama ont déjà actionné un plan de sauvegarde ou connu un redressement judiciaire, Procos ne cache pas son inquiétude pour les mois et les années qui viennent. Pour de nombreux négociants, la priorité consiste à obtenir de leur bailleur une remise totale ou partielle, définitive ou temporaire, de leur loyer, qui compte pour 10 à 20% de leur chiffre d’affaires. Une médiation menée par le gouvernement a abouti à un accord national avalisé par les bailleurs, mais non par l’ensemble des fédérations de commerçants. Les discussions, qui se poursuivent entre fonds de commerce et propriétaires, revêtent selon Procos une importance particulière. Au-delà de «la rigidité de certains bailleurs», qui pourrait aboutir à la défaillance d’entreprises, la fédération craint «la multiplication des contentieux», synonyme de perte de temps et d’énergie, mais aussi la flambée de la vacance commerciale. Une rue ou une galerie marchande bordée de nombreuses vitrines vides ne facilite pas la survie des commerces environnants qui avaient tenu jusque-là.
Le pactole de l’épargne forcée
Dans ce contexte difficile, les aléas demeurent nombreux. Au risque de deuxième vague épidémique s’ajoutent la montée du chômage, la possibilité de nouvelles manifestations ou grèves comparables à celles des «Gilets jaunes», la poursuite du télétravail qui éloigne les consommateurs ou la faiblesse du «tourisme international, durablement en retrait». Selon Laurence Paganini, pas moins de «50 000 points de vente», sur les 350 000 existants, pourraient fermer leurs portes d’ici l’année prochaine, ce qui représenterait «150 000 à 300 000 emplois directs».
Mais la période n’est pas uniquement négative, reconnaissent les représentants des enseignes. En premier lieu, le commerce et la ville demeurent des lieux de rencontre réelle, de lien social. En outre, le secteur attend beaucoup du «pactole» que constitue l’épargne amassée depuis le début du confinement par les consommateurs : 75 à 100 milliards d’euros auraient ainsi été conservés, du fait de la difficulté de consommer.
Pour «faire du commerce spécialisé une chance pour la France», Procos avance avec le cabinet d’audit EY (Ernst & Young) «douze recommandations», notamment à visée fiscale, comme l’exonération des charges sociales patronales pendant quatre mois ou une modération des impôts des collectivités locales. Procos réclame aussi des mesures de «relance» afin d’encourager la consommation, comme le déblocage des plans d’épargne-logement ou une «campagne de communication nationale» pour inciter les achats dans les magasins et restaurants. La fédération des enseignes propose de renforcer l’action en faveur des centres des villes moyennes et d’accélérer la rénovation des zones commerciales dégradées. Mais elle se garde bien, en revanche, de se prononcer sur la limitation des grandes surfaces périphériques, dont le principe a été accepté le 29 juin dernier par le président de la République, sur proposition de la Convention citoyenne pour le climat.
Olivier RAZEMON