Guerre en Ukraine : quelles conséquences économiques pour l’UE ?
L’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions prises par l’UE risquent d’avoir d’importantes conséquences pour les États européens : hausse des prix de l’énergie, turbulences sur les marchés financiers, incertitudes commerciales…
Le 24 février 2022 est d’ores et déjà assuré de rester un point noir dans l’histoire des relations politiques internationales, puisqu’en ce jour la Russie a entamé l’invasion de l’Ukraine et de facto déclenché une guerre sur le continent européen ! Les appels à la paix, les sommets multilatéraux et les intenses tractations diplomatiques, notamment françaises, n’auront donc servi à rien face à la détermination du maître du Kremlin. Encore tout étourdis par cette succession d’événements belliqueux, les dirigeants politiques européens vont néanmoins devoir en prendre la mesure économique…
La dépendance de l’UE au gaz russe
En ce qui concerne le gaz, la Russie possède la plus grande part des réserves mondiales (environ 20 %) et occupe le deuxième rang mondial dans la production. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que près de la moitié du gaz utilisé au sein de l’UE provienne de Russie (46,8 %), le reste étant notamment importé de Norvège (20,5 %) et d’Algérie (11,6 %). Mais si la France est dépendante du gaz russe à hauteur de 20 %, ce taux monte à plus de 50 % en Allemagne ou en Pologne, et dépasse allégrement les 75 % en Roumanie, Bulgarie, Hongrie ou en Autriche !
L’Ukraine et la Biélorussie sont d’ailleurs des points de passage importants du gaz russe vers l’UE, et le conflit actuel ne peut qu’en désorganiser l’acheminement. Par ailleurs, le chancelier allemand, Olaf Scholz, a suspendu l’autorisation d’exploitation, tant attendue par Gazprom, du gazoduc géant Nord Stream 2, alors même que celui-ci avait vocation à alimenter directement l’Allemagne, en passant par la mer Baltique. Notons du reste que Nord Stream 2 avait été cofinancé par des groupes énergétiques européens, dont Engie, pour qui cette décision constitue une déconvenue financière de taille.
Gaz et pétrole, armes énergétiques de Poutine
L’UE cherche depuis quelques mois à diversifier ses approvisionnements, en comptant notamment sur le gaz naturel liquéfié (GNL), qui contrairement au gaz naturel n’est pas transporté par gazoducs, mais par voie maritime. Les États-Unis, gros producteurs de GNL, ont ainsi laissé entendre qu’ils approvisionneraient l’UE en cas de problème avec la Russie, mais, outre que la production de GNL est déjà pour l’essentiel prévendue, elle est loin de pouvoir répondre à la forte demande européenne… en plein hiver !
L’un dans l’autre, tous ces facteurs contribuent inévitablement à une forte hausse des prix du gaz sur le marché de référence en Europe, le TTF (Title Transfer Facility) aux Pays-Bas. Et l’exclusion d’un grand nombre de banques russes du système de messagerie sécurisée de transactions bancaires Swift ne peut qu’aggraver les choses, même si les banques russes liées au secteur de l’énergie ont été partiellement épargnées pour permettre aux pays importateurs de continuer à se fournir en gaz russe.
Quant au pétrole, là aussi la Russie figure dans le peloton de tête des pays producteurs, ce qui laisse présager le pire pour le prix du baril si le pays était limité dans ses exportations, que cette limitation résulte de sanctions ou d’une volonté du Kremlin. Ce d’autant plus que la (vague) promesse faite par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) d’une hausse de production ne pourra à l’évidence pas compenser, à court terme, la part russe.
Turbulence dans toute l’économie européenne
Le renforcement de l’inflation qui résulterait d’une désorganisation des marchés énergétiques conduirait à une baisse importante de pouvoir d’achat dans les pays où les salariés ne sont plus en mesure d’obtenir des augmentations salariales. D’où un risque de crise sociale, au moment où l’on sent déjà qu’une étincelle est capable de mettre le feu aux poudres. Au contraire, si une boucle salaire-inflation est susceptible de se manifester dans certains États membres de l’UE, le risque est alors de voir la Banque centrale européenne (BCE) durcir drastiquement sa politique monétaire, ce qui pèserait négativement sur l’investissement et étranglerait les États en difficulté financière.
En même temps, les décisions passées semblent montrer que la BCE cherche officieusement à éviter le grand plongeon des marchés financiers, ce qui devrait limiter sa réaction face à l’inflation des prix à la consommation, de peur de déstabiliser tout l’édifice financier. Assurément, le jeu de « massacre » des sanctions/contre sanctions entre la Russie et les États membres de l’UE, conjugué à un environnement économique, financier et politique de plus en plus incertain, est susceptible de déboucher sur une très grande volatilité de tous les marchés, pas uniquement financiers.
Quant aux entreprises engagées dans le commerce international, elles sont, pour l’heure, les oubliées de la communication gouvernementale européenne, qui se contente le plus souvent d’affirmer que la Russie n’est pas un partenaire important sur le plan économique. Outre l’absurdité du propos, quid des PME aux reins bien moins solides que les multinationales et qui ont déjà du mal à s’approvisionner en matières premières (aluminium, nickel et autres produits dont les prix dépendent de la production russe) ? Quant aux agriculteurs, ils s’inquiètent, à juste titre, du prix des engrais et de la hausse du cours du blé, puisque la Russie et l’Ukraine en sont d’importants producteurs.
Bien sûr, le pire n’est jamais certain, mais Poutine vient de prouver qu’il pouvait remettre en cause tous les rapports les mieux établis…
France : un plan de « résilience économique et sociale»
Pour faire face à la baisse du pouvoir d’achat des ménages, conséquence de la flambée des prix de l’énergie et des matières premières, et venir en aide aux entreprises et professions impactées par la hausse, le Premier ministre, Jean Castex doit finaliser un« plan de résilience économique et sociale ». Côté entreprises, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, s'est prononcé le 4 mars, pour « un soutien ciblé et massif » aux secteurs les plus menacés. L’objectif est aussi d’accompagner les entreprises exportatrices et celles implantées en Russie et en Ukraine et de sécuriser les approvisionnements.
D’après Asterès, cabinet d’études économiques et de conseil, la guerre en Ukraine devrait limiter la croissance française à 2,3 % en 2022, contre 3,3 % anticipé avant le déclenchement du conflit et creuser le déficit commercial de 33 milliards d’euros, en lien avec la baisse des exportations vers la Russie et l’Ukraine. Asterès anticipe « une inflation proche de 5 % cette année, si les prix de l’énergie restaient à leur niveau de ce début mars ». Une hausse des prix qui devrait se traduire par une baisse du pouvoir d’achat, avec des répercussions mécaniques sur la consommation, moteur de la croissance.
B.L