Export : la géographie du risque évolue
Le risque politique explose dans un monde qui s'est pour l'essentiel converti à l'orthodoxie financière, explique un webinaire du club CCI International consacré à l'export. La géopolitique des risques constitue un enjeu pour les PME françaises qui concentrent leurs exportations sur l'Europe : en 2025, la croissance mondiale se situera ailleurs, selon l'OCDE.
Exporter, même loin, mais sans aventurisme. Le 18 septembre, le club CIC international (de l'établissement bancaire) organisait un webinaire consacré à « Exporter dans un contexte géopolitique sous tensions : quelles précautions ? » Ces banquiers qui accompagnent des projets d'export identifient différents types de risques qui évoluent fortement au XXIe siècle. En particulier, « on l'avait un peu oublié depuis la chute de l'Union Soviétique et l'ouverture de la Chine au capitalisme, mais le risque politique fait un retour fracassant. Et il est là pour durer », analyse Harald Liberge-Dondoux, responsable des financements internationaux chez CIC. De fait, « cet été nous avons dégradé la note de 12 pays et redressé celle de quatre pays seulement », en raison du risque politique, confirme Thierry Millon, directeur des études au cabinet Altares-Dun & Bradstreet international.
Sur la planète, au XXIe siècle, les risques politiques prolifèrent, avec par exemple, la guerre en Ukraine, mais aussi, depuis 2016, la monté des tensions commerciales entre Chine et USA. Un peu partout, le climat est incertain. Ainsi, les « Brics + » ( Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie et l’Iran) nourrissent des ambitions. « Ils voudraient réduire l'influence de l'Occident. Toutefois, il n'existe pas de cohérence entre eux, donc, ils ne constituent pas une véritable menace », tempère Harald Liberge-Dondoux. Sur le plan économique, s'émanciper de l'Occident signifierait s'affranchir des réseaux bancaires Visa et Mastercard, de Swift, le système international de paiement, du FMI, Fonds Monétaire International...Pour l'expert, les Brics + ne disposent pas aujourd'hui des moyens de leurs ambitions. Par exemple, les Indiens seraient très certainement défavorables au remplacement du dollar américain par le yuan chinois...
Autre type de risque identifié par les banquiers et dont l'importance ne cesse de croître : celui climatique. « Il est appelé à devenir un risque majeur », pointe Harald Liberge-Dondoux. C'est déjà le cas avec, par exemple, le stress hydrique. « En Europe, l’Espagne et l’Italie sont déjà concernées », pointe Harald Liberge-Dondoux. C'est également le cas du Moyen-Orient, et aussi, de l’Égypte. « Le Nil est alimenté par des sources en Éthiopie. Or, ce pays a construit des barrages qui peuvent impacter le débit du fleuve dont 100 millions de personnes dépendent », pointe Harald Liberge-Dondoux.
En revanche, un autre risque est devenu beaucoup moins prégnant, selon CCI International. Mis à part quelques cas comme Cuba ou le Venezuela, « aujourd'hui, globalement, l'orthodoxie financière est acceptée partout dans le monde », explique Harald Liberge-Dondoux. Il reste donc un nombre limité de pays où les exportateurs aient à redouter des crises de solvabilité de l’État ou des épisodes d'hyper-inflation délétères pour leurs activité. Par exemple, le Chili connaît une inflation de 3,9% en 2023, contre 504,7% en 1974.
Le Canada, coûteux à prospecter, mais secure
L'exemple du Chili l'illustre, la géographie des risques évolue et elle réserve parfois des surprises. Par exemple, ce mois de septembre 2024, la France ne figure pas au palmarès des pays les moins risqués du monde au regard de l'indice « risque pays » multicritères (dynamisme économique, cadre juridique, sécurité financière, politique …) établi par Altares-Dun & Bradstreet international. En cause : le poids de sa dette publique et son instabilité politique récente. Les USA aussi ont subi une correction (défavorable) de leur indice « risque pays » en raison des élections qui s'approchent. Néanmoins, ils figurent dans la liste des pays les moins risqués avec notamment le Canada, l'Australie, la Corée du Sud, l'Allemagne, l'Islande, le Royaume-Uni...A contrario, Venezuela, Nicaragua République démocratique du Congo, Soudan, Libye, Yémen, Russie, Afghanistan, Pakistan...sont considérés les plus risqués.
Pour les entreprises européennes, l'enjeu de cette géographie des risques est de taille. En effet, en 2025, les opportunités de croissance devraient se situer principalement à l'étranger. Selon les projections de l'OCDE, Organisation de coopération et de développement économiques, la croissance devrait atteindre 3,2% dans le monde et 1,5% seulement dans la zone euro. A contrario, elle devrait grimper jusqu'à 6,6% en Inde, 4,5% en Chine, 4,1% en Arabie Saoudite, 2,2% en Australie... Pour l'instant, 88% des PME françaises qui exportent le font dans l'Union Européenne et 41% en ont fait leur destination exclusive, selon l'enquête de Bpifrance le lab « Au delà des frontières. L'export et les PME en 2024 ». Amérique du Nord et région MENA ( Afrique du Nord et Moyen-Orient) sont visées par 26% des PME. Selon cette même étude, les entrepreneurs qui exportent sont bien conscients des risques inhérents à cette activité et de sa géographie. Les deux premiers freins qu'ils identifient sont les coûts de prospection et les difficultés administratives. Mais les délais de paiement et impayés arrivent en troisième position ( 24%) et les incertitudes liées au pays lui même en quatrième position (18%). Ce dernier paramètre est particulièrement avancé par les PME prévoyant d'exporter en Amérique latine ( 32%), tandis que celles qui se tournent vers l'Afrique subsaharienne (42%) évoquent plutôt la question des délais de paiement. Celles qui visent l'Afrique du Nord citent les complexités administratives. Et celles qui ciblent l'Amérique du Nord, les coûts de prospection.