Climat : un "plan eau" qui prend l’eau ?
A l’approche de l’été, le président de la République, a annoncé les principales mesures du "plan eau". Ses ambitions sont trop limitées, d’après l’association France Nature Environnement. Par ailleurs, il pourrait engendrer une augmentation des tarifs pour les particuliers.
Le lieu est symbolique : le lac de Serre-Ponçon, dans les Hautes-Alpes, est un lac artificiel, œuvre du savoir-faire des ingénieurs français. Il est né en 1959 de la construction d'un barrage sur la Durance, deux kilomètres à l'aval de son confluent avec l'Ubaye. C’est là que le 30 mars dernier, Emmanuel Macron, président de la République, a dressé les grandes lignes du plan national consacré à l’eau. Ce dernier, qui compte une cinquantaine de mesures, était très attendu, tant l’enjeu est devenu crucial. Par exemple, sur la période 2002-2018, la France métropolitaine a vu se tarir ses ressources en eau naturelle de 14 % par rapport à 1990-2001, d’après une étude récente du ministère de la Transition écologique. L'Hexagone a perdu en moyenne annuelle 32 milliards de m3, réduisant son « stock » d'eau à 197 milliards de m³.
Le plan présenté par le chef de l’Etat fixe un objectif de 10 % d’économies d’eau à horizon 2030. C’est loin d’être un objectif ambitieux, pour France Nature Environnement. « L’objectif global de ce plan présente un réel recul par rapport aux Assises de l’eau de 2019, qui prévoyaient 25% d’économie d’eau d’ici à 2035 », commente l’association, dans un communiqué.
En terme de mesures choisies, le plan présidentiel s’appuie en particulier sur le déploiement de solutions technologiques, à commencer par celles qui permettent de mesurer. Par exemple, pour l’agriculture, le plan entend encourager l’utilisation d’outils d’aide au diagnostic sur les volumes nécessaires aux cultures, ainsi que les solutions d’irrigation en goutte-à-goutte. Et en 2024, une expérimentation démarrera dans dix territoires, pour une généralisation prévue en 2027 : l’installation de compteurs capables de télétransmettre les volumes prélevés sera rendue obligatoire « pour les prélèvements importants ». La mesure, qui concerne en particulier les agriculteurs, devrait apporter une meilleure visibilité des prélèvements en eau, base indispensable pour une politique cohérente de la gestion de la ressource. Autre annonce, un « EcoWatt de l’eau », sur le modèle de l’instrument mis en place pour réduire la consommation d’électricité pendant l’hiver, devrait être disponible dès l’été.
D’autres mesures prévues visent à développer des usages différents de la ressource. En particulier, le plan mise sur un accroissement considérable de la réutilisation des eaux usées. Objectif fixé :10 % d’ici à 2030. Actuellement, ce taux est de 1 % seulement. Dans les cinq ans à venir, 1 000 projets devraient être lancés dans ce domaine. Et le cadre réglementaire de la réutilisation des eaux usées traitées (REUT), très rigide en France par rapport à d’autres pays européens, devrait être assoupli. « Les solutions techniques comme la réutilisation d’eaux usées traitées ou le développement de technologies hydroéconomes ont déjà fait l’objet d’engagements de l’État en 2019, à la suite des Assises de l’eau. Elles ont leur place dans le panel de réponses à apporter mais ne suffiront pas. La REUT a aussi un coût et peut générer d’autres problèmes sanitaires et écologiques, notamment sur la vie et la biodiversité des sols », commente France Nature Environnement.
Ressource rare = ressource chère ?
Au delà de sa plus ou moins grande efficacité par rapport à ses objectifs, le plan eau pourrait engendrer des réactions sociales. En effet, il s’oriente vers « une hausse de la facture pour les consommateurs », d’après le quotidien économique Les Échos du 31 mars. L’une des mesures phares du plan réside dans la « tarification progressive et responsable ». Le principe : les premiers mètres cubes d’eau sont facturés à un prix modeste, proche du prix coûtant. Au-delà d’un certain niveau, le prix sera plus élevé, puisqu’il concernera des consommations de « confort ». Cette solution est déjà expérimentée dans plusieurs villes en France, parmi lesquelles Dunkerque, Arras, Bordeaux, Montpellier et Libourne, dans le cadre de politiques qui se veulent notamment « écologiques et solidaires », décrit le journal Le Monde (5 avril). A Dunkerque, par exemple, d’après le quotidien, trois tranches de tarifs ont été mises en place : « essentielle », « utile » et « de confort ». Le dispositif de la municipalité vise à encourager la sobriété écologique et également développer un volet solidaire. Ainsi, la première tranche « utile » est facturée aux ménages selon un tarif différencié, 1,28 euro par mètre cube par défaut, et 0,49 euro pour les plus modestes. La tranche la plus coûteuse est facturée 3,10 euros par mètre cube. Et les premières années ont effectivement été marquées par une diminution de la consommation. Toutefois, si « l’annonce du soutien de l’État à la tarification progressive est une excellente nouvelle. Cette mesure, réclamée par les associations depuis des décennies, relève pourtant de la compétence des élus locaux », pointe France Nature Environnement.
En revanche, la facture d’eau pourrait bien augmenter par le biais des redevances qui sont prélevées par les Agences de l'eau. En effet, Emmanuel Macron a annoncé une augmentation des moyens de ces dernières (475 millions d’euros par an). Seul souci, d’après le ministère de la Transition écologique, cité par les Échos, cette somme ne serait pas prélevée sur le budget de l’État, mais proviendrait d'une hausse des redevances qui sont facturées aux consommateurs (particuliers compris). Les arbitrages sur ce sujet devraient être rendus pour la prochaine loi de Finances pour 2024 de l'automne.
Parmi les autres mesures prévues par le plan figure la mobilisation de 180 millions d’euros par an pour résorber les fuites dans les circuits de distribution d’eau. En France, les pertes s’élèvent à un litre d’eau sur cinq, durant leur transport en raison des fuites. Ce taux atteint même un litre sur deux dans certaines zones. Cette situation, « aberrante », selon les mots du Président, résulte d’un sous-investissement historique, connu et dénoncé depuis longtemps. Au global, conclut France Nature Environnement, « Plus que de nouveaux engagements, le « plan eau » rappelle pour l’essentiel des mesures déjà annoncées en 2019, à la suite des Assises de l’eau. Il s’agit donc en réalité plutôt d’une feuille de route du gouvernement et, sur le contenu, la promesse d’enfin mettre en œuvre des engagements pour la plupart déjà affirmés ».