Trop de touristes tuent le tourisme
La surfréquentation de certains sites dérange les habitants, détruit la biodiversité et pèse sur le climat. Le « tourisme durable » suppose une adaptation des sites et une régulation des visiteurs, mais aussi la création de nouveaux imaginaires, explique une étude dédiée.
Les touristes n’ont-ils aucune imagination ? Même par temps maussade, un frisquet lundi matin d’octobre, les randonneurs, certains arborant une coquille Saint-Jacques, forment un petit embouteillage piéton sur le chemin de Compostelle qui traverse la Lozère. Ce département, le moins peuplé de France, offre pourtant de nombreux autres sentiers. Plus au nord, le village de Collonges-la-Rouge (Corrèze) est envahi dès l’aube par des dizaines de visiteurs acceptant de payer la place de parking 5 euros pour se photographier devant les murs ocres, entre une boutique de souvenirs et une terrasse bondée. La localité voisine, Meyssac, qui arbore les mêmes pierres rouges, demeure déserte. Dans le nord de l’Alsace, Hunspach a été sacré « village préféré des Français » par une émission de télévision en 2020. Les visiteurs s’y précipitent pour admirer les maisons à colombages aux vitres en verre bombé, encombrant les rues de leurs véhicules, « alors que d’autres villages présentent les mêmes caractéristiques, à quelques kilomètres », souligne l’office de tourisme des Vosges du Nord. Pour attirer des touristes, il suffit d’une série télévisée vantant des falaises, d’un champ de lavande instragrammé par un influenceur ou d’un classement dans la liste des « plus belles plages d’Europe », par un journal britannique.
Au-delà de ce désespérant suivisme, ces comportements ont des conséquences sur les lieux visités. La surfréquentation dérange les habitants, détruit la biodiversité, accentue la dégradation du climat et finit par enlever tout le plaisir de la visite aux vacanciers eux-mêmes.
L’impact environnemental du tourisme fait désormais l’objet d’études sérieuses. En France, la part du secteur dans le PIB atteint 7,4%, mais génère 11% des gaz à effet de serre, indique un « livre blanc » intitulé « Le tourisme en transition », publiée en avril dernier par le groupe Scet, conseil aux collectivités dépendant de la Caisse des dépôts et consignations, et Sociovision, filiale de l’Ifop.
Pas moins de 200 labels ou certifications
Les touristes, que nous sommes tous, sont conscients de l’impact du surtourisme. Selon une étude menée en 2019 par Sociovision, 64% des clients du secteur disaient ne pas supporter « les sites très fréquentés par les touristes », tandis que 81% étaient d’accord avec l’affirmation suivante : « le développement touristique dénature certains sites et certaines villes ».
Sociovision et la Scet se sont penchés sur « les freins sociétaux » qui entravent les pratiques plus vertueuses. Tout d’abord, nous peinons à renoncer aux plaisirs de la société de consommation. Ensuite, il n’y aurait pas suffisamment d’« alternatives abordables au tourisme de masse ». Enfin, nous manquons « d’exemples concrets pour définir ce qu’est une attitude touristique responsable ».
Le tourisme « durable » ou « écoresponsable » n’est pourtant pas un concept nouveau. Les structures professionnelles, les pouvoirs publics, les associations de consommateurs ou les ONG environnementalistes décernent des labels, certifications et autres trophées. Les auteurs en ont relevé plus de 200. Mais « ces travaux restent ignorés du grand public et ne semblent pas infléchir le marché », observe l’étude.
Sociovision et la Scet délivrent plusieurs conseils aux animateurs des destinations. Ils peuvent ainsi investir dans la mesure de l’empreinte carbone ou « encadrer » les atteintes à la biodiversité, en limitant « les flux trop importants, les activités motorisés ou la pollution lumineuse ». La jauge peut être calibrée en fonction de l’affluence et de la saison, en jouant sur « les modalités de visite, les réservations préalables de créneaux, la capacité d’hébergement et l’ingénierie du stationnement ». La nécessité de préserver un site peut même conduire à le « désartificialiser ».
Plan gouvernemental de régulation
Plusieurs collectivités ont déjà mis en pratique ces recommandations. Ainsi, pour se rendre dans la calanque de Sugiton, à Marseille, il est nécessaire de réserver sa visite sur un site dédié. Le 20 juillet, aucun créneau n’était disponible pour les jours suivants. Une plage de la presqu’île de Crozon (Finistère), connue pour son sable blanc, est interdite au public. L’office de tourisme des Gorges de l’Ardèche incite les amateurs de descentes en canoë à choisir des horaires moins fréquentés. A Etretat (Seine-Maritime), un parking bitumé a été supprimé en haut d’une falaise, afin d’amener les visiteurs à grimper à pied plutôt qu’à s’arrêter cinq minutes, moteur allumé, pour une photo-souvenir. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ces mesures sont plutôt bien comprises et acceptées par les visiteurs.
Annoncé le 18 juin, un plan gouvernemental pour réguler les sites touristiques s’inspirera sans doute des exemples les plus vertueux. Pour l’heure, la ministre du Tourisme, Olivia Grégoire, qui a été reconduite lors du remaniement du 20 juillet, s’est contentée de programmer la publication d’un « guide pratique », d’ici la fin de l’année, et la création d’un « Observatoire des sites touristiques majeurs », afin de remédier au « manque cruel de données ».
Cela permettra peut-être de vérifier le chiffre, avancé par la communication gouvernementale, selon lequel « 80% de l’activité touristique se concentre sur 20 % du territoire ». Le « livre blanc » sur le surtourisme propose d’ailleurs de développer « de nouveaux imaginaires ». Parmi les pistes proposées figurent des « voyages itinérants par le rail, le fluvial ou le vélo », la valorisation des lieux appréciés par les riverains, parc, rivière ou musée local, ou encore l’« aménagement des espaces publics à destination des visiteurs comme des habitants ». Histoire de ne pas tous marcher à queue-leu-leu sur un chemin de Lozère.