Réindustrialisation : « Il manque des projets d’ETI industrielles »
La réindustrialisation, un mirage ? EOL, spécialiste de l’immobilier logistique qui s’est lancé sur ce marché, observe pour l’instant un manque de projets d’ETI. Et les projets logistiques subissent le rejet de la société civile… Entretien avec Laurent Sabatucci, président fondateur d’EOL, spécialiste de l’immobilier industriel et logistique.
Comment EOL s’est-elle investie dans le marché de l’immobilier industriel ?
Aujourd’hui, EOL, société de conseil, compte 70 consultants et une dizaine de bureaux en France. Elle est également présente dans une dizaine d’autres pays en Europe. Lorsque j’ai créé l’entreprise, il y a une vingtaine d’années, nous nous sommes positionnés sur la vente et la location d’immeubles logistiques -que nous ne détenons pas-, et aussi comme société d’ingénierie, en faisant construire des bâtiments logistiques. Récemment, par exemple, nous avons livré le bâtiment logistique de Lacoste à Troyes (Aube), 55 000 m² destinés à desservir 3 000 magasins dans le monde. Mais depuis trois ans environ, nous proposons des services dédiés à la réindustrialisation : nous identifions des terrains en mesure d’accueillir le plus rapidement possible un projet industriel, nous réalisons l’étude de faisabilité, évaluons les coûts… Cette extension de l’activité d’EOL est assez naturelle : le foncier concerné, les interlocuteurs publics restent les mêmes qu’il s’agisse d’un projet logistique ou d’industriel. Leur statut juridique diffère et les procédures administratives ne sont pas identiques, mais cela reste dans un cadre que nous maîtrisons.
Pourquoi avoir pris le virage de l’industrie et quels types de projets voyez-vous se développer sur le territoire ?
Notre première motivation à nous tourner vers cette activité a résidé dans le fait que les collectivités ont commencé à souhaiter l’implantation de projets industriels sur leurs terrains. Nous travaillons avec elles, et donc nous essayons de répondre à cette réorientation de leur demande en trouvant ces projets. Plus largement, au niveau national, nous constatons un besoin de ré-internaliser des fonctions, de répondre à des problématiques d’approvisionnement... Pour l’instant, sur le territoire, j’observe le développement de deux types différents de projets : les très grands, stratégiques, à l’image des gigafactories de batteries, et une multitude de petits qui ne comptent que quelques emplois. Je trouve qu’il manque des projets d’ETI industrielles, avec 250 emplois, en mesure de réellement impacter l’économie locale. Jusqu’à présent, chez EOL, nous avons réalisé des projets industriels de petite taille, comme une brasserie de 6 000 m² au sud de Paris, et une pâtisserie industrielle de 15 000 m². Cela reste un peu décevant. Toutefois, même si les temps sont longs, la tendance est là...
Comment évolue le marché de l’immobilier logistique entre demande née du e-commerce et contestation de projets par la société civile ?
Le marché de l’immobilier logistique subit une forte pression. En 2022, il a représenté 3,3 millions de mètres carrés loués ou construits, contre 3,5 l’année précédente. Ce petit ralentissement tient essentiellement au manque d’immeubles disponibles. Actuellement, en effet, toutes les entreprises intègrent dans leur stratégie le e-commerce. Or, celui-ci multiplie par trois les surfaces logistiques nécessaires par rapport au commerce traditionnel et engendre une forte demande. S’y ajoute celle, nouvelle, générée par la crise, des stocks stratégiques réalisés pour anticiper des problèmes d’approvisionnement. Cela concerne les entreprises et aussi l’État. Par ailleurs, cette tension sur le marché est nourrie par la contestation croissante des grands projets logistiques qui empêche la tenue de nombre d’entre eux, ainsi que par le dispositif « zéro artificialisation nette » (ZAN), qui découle de la loi Climat et résilience. Il s’agit de choix politiques et démocratiques. Mais il est certain que si l’on refuse de construire, il ne va pas être possible de réindustrialiser.