Transition écologique : le grand bluff des aménageurs
Alors que débute un nouveau quinquennat aux contours incertains, l’Autorité environnementale démontre, dans son rapport pour l’année 2021 présenté le 5 mai, que les projets d’infrastructures ignorent superbement les risques liés au climat, à la biodiversité ou aux ressources en eau.
Qui connaît l’Autorité environnementale ? Cette entité indépendante créée en 2009, dont les membres sont des personnalités ou hauts-fonctionnaires nommés par le ministre de l’Ecologie, émet des avis sur la manière dont les projets d’infrastructures, publics ou privés, légalement soumis à une évaluation environnementale, respectent la biodiversité, les ressources en eau ou le climat. Ces avis n’ont pas la capacité d’interdire la réalisation des aménagements concernés, mais évaluent leurs impacts environnementaux et les efforts pour limiter ceux-ci.
Pour le dire plus simplement, l’Autorité environnementale (AE) est un contre-pouvoir créé par le pouvoir. Contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, ce type de structure, dans une démocratie, prend son rôle au sérieux. Et finit par s’affranchir de la tutelle de ses créateurs.
C’est en tous cas ainsi que les 16 membres de l’institution, qui a présenté son rapport annuel pour 2021 le 5 mai dernier, conçoivent leur fonction. La note qu’ils délivrent est mauvaise. « La transition écologique n’est pas amorcée en France », assure catégoriquement le président de l’AE, Philippe Ledenvic, ingénieur général des mines. L’an dernier, récapitule l’autorité, ont été rendues 166 décisions, « un flux exceptionnel » consécutif à la mise en conformité récente de la France avec une directive européenne de 2016. Parmi les dossiers figurent « beaucoup de projets de zones d’aménagement concerté », ainsi que des installations nucléaires ou « les premiers sites de production d’hydrogène », détaille le collège d’experts.
L’analyse de l’AE éclaire sous un jour nouveau la manière dont les aménageurs préparent leurs projets. Certes, « de plus en plus de dossiers sont méthodologiquement solides », affirme la structure. Mais ce sérieux de façade masque de graves lacunes. Les mesures de protection de l’environnement ou de limitation des nuisances sont généralement insuffisantes ou absentes. Ainsi, les dossiers examinés « sont peu ambitieux en matière de changement climatique », tandis que les dispositifs de réduction de la vulnérabilité aux risques naturels ne sont pas assez étayés.
Les projets routiers, autoroutes, contournements, ouvrages d’art, continuent à surgir malgré les promesses, renouvelées par les différents échelons de pouvoir politique, d’une mobilité moins carbonée. En outre, ces infrastructures présentent « des impacts très importants sur la biodiversité et les zones humides », écrivent les experts. Les installations nucléaires, souvent présentées comme bénéfiques, provoquent « des rejets chimiques trop importants ».
La sobriété énergétique, « un impensé »
Plus généralement, les porteurs de projets semblent conscients de la nécessité d’évoquer les enjeux environnementaux, mais estiment souvent que cette mention suffit. En matière de ressource en eau, les aménageurs annoncent des objectifs, mais proposent des réponses qui « seront probablement insuffisantes pour les atteindre ». Lorsque le réchauffement climatique est en jeu, « les risques et les enjeux d’adaptation sont plus systématiquement analysés, mais les scénarios les plus récents du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ne sont pas encore pris en compte ».
Le secteur de l’hydrogène semble considérer que la production de cette source d’énergie suffit, en soi, à le ranger dans le camp du bien. Or, « l’intention de décarbonation ne se traduit pas toujours par la démonstration d’un bilan carbone satisfaisant », déplorent les experts. Dans de nombreux dossiers, « la sobriété énergétique reste un impensé ». Enfin, les financements publics semblent se désintéresser de la transition écologique. Les comparaisons avec les choix précédents ou avec les engagements déjà programmés constituent « des informations rarement disponibles », regrette l’AE.
La conclusion du collège d’experts ne souffre pas d’ambiguïté : « Alors que la crise sanitaire aurait pu conduire à revoir des modèles à bout de souffle », les porteurs publics et privés présentent « invariablement les mêmes programmes, les mêmes financements, les mêmes projets qui auront, pour la plupart d’entre eux, des conséquences irréversibles pendant une ou plusieurs dizaines d’années ».
L’AE a en outre l’impression que l’Etat lui met des bâtons dans les roues. « Les modifications du droit français de l’environnement, au prétexte de ‘simplifier’ les processus administratifs, ont multiplié les cas dérogatoires au droit commun », peut-on lire dans le rapport. De fait, on ne compte pas un colloque portant sur l’avenir d’un secteur économique sans que les participants protestent contre ce qu’ils appellent les « recours abusifs », en réclamant une simplification des procédures.
L’AE déclare également subir une baisse de ses moyens financiers et déplore la réduction récente du délai d’instruction, passé de trois à deux mois par un décret de juillet 2021. Décidément, même en prenant son rôle au sérieux, il n’est pas facile de se positionner en contre-pouvoir.