Tolérance "zéro alcool" en entreprise : de nouvelles précisions du Conseil d’Etat
Les employeurs savent qu’ « aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n'est autorisée sur le lieu de travail », selon le Code du travail. Par une décision du 14 mars dernier, le Conseil d’Etat apporte des précisions utiles sur la possibilité pour les chefs d’entreprises de déroger à cette règle, aussi atypique qu’anachronique.
L’article R. 4228-20 du Code du travail autorise explicitement la consommation d’alcool sur le lieu de travail. Il s’agit en réalité d’un véritable droit du salarié, opposable à l’employeur. Toutefois, cette autorisation est triplement limitée. D’une part, bien évidemment, la consommation doit être raisonnable. A cet effet, l’article R. 4228-21 du Code du travail interdit à l’employeur de laisser travailler un salarié en état d’ivresse. D’autre part, le code fixe une liste limitative d’alcool consommables : les salariés pourront uniquement consommer du vin, de la bière, du cidre, et du poiré ( le champagne est considéré, en jurisprudence, comme du « vin blanc à bulles » ; les vignerons apprécieront…). Confrontées à des salariés fêtant raisonnablement un pot de départ, certaines juridictions ont même considéré « qu’un tel usage dans la société française n'est pas un comportement reprochable ».
Restriction via le règlement intérieur
Enfin, et c’est sur ce point que la récente décision du Conseil d’Etat[1] est intéressante, l’employeur peut restreindre ce droit par le biais du règlement intérieur. Toutefois, en droit du travail, le principe est clair, et constamment rappelé par les juridictions administratives : « un employeur ne peut apporter des restrictions aux droits des salariés que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ». Ainsi, dans sa récente décision, le Conseil d’Etat rappelle, à titre liminaire, que lorsqu’il prévoit de restreindre la consommation d’alcool sur le lieu de travail, l'employeur doit être en mesure de justifier que cette mesure est « justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché ».
En ce qui concerne la nécessité d’une restriction de la consommation d’alcool, l’article R. 4228-20 du Code du travail prévoit que cette justification est admise lorsque cette consommation « est susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs ». Rien de très original. Il est donc nécessaire de se tourner vers la jurisprudence pour dessiner les contours de la justification. Le plus souvent ces restrictions sont justifiées par la présence sur site d’employés manipulant des équipements industriels ou des produits chimiques dangereux.
Sur ce point précis, la récente décision de la Haute juridiction apporte un nouvel éclairage de bon sens : « S'il incombe ainsi à l'employeur qui estime devoir limiter, voire interdire, la consommation d'alcool sur le lieu de travail d'établir que cette restriction est justifiée et proportionnée dans les conditions mentionnées au point précédent, cette exigence n'implique pas (…) qu'il doive être en mesure de faire état de risques qui se seraient déjà réalisés ». Il serait en effet absurde d’obliger l’employeur à attendre la survenance d’un accident avant de l’autoriser à restreindre la consommation d’alcool.
En ce qui concerne la proportionnalité de la restriction, le Conseil d’Etat estime classiquement que « l’employeur peut, lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des travailleurs, prendre des mesures, proportionnées au but recherché, limitant, voire interdisant, cette consommation sur le lieu de travail ». Ce n’est qu’en cas de danger « particulièrement élevé pour les salariés ou pour les tiers » qu’il pourra tout bonnement interdire la consommation d’alcool.
Le Conseil d’Etat semble accepter, avec une grande largesse, ces deux conditions puisque dans une précédente décision du 8 juillet 2019, il avait estimé que le règlement intérieur n’a pas forcément à « fixer la liste des salariés concernés par référence au type de poste qu'ils occupent », et que ce règlement n’a pas non plus à comporter lui-même cette justification de la restriction. En outre, il relève que l’employeur peut tout à fait, pour justifier la pratique de la « tolérance zéro » se référer au document unique d'évaluation des risques professionnels, bien que le règlement intérieur n’en fasse pas lui-même la mention.
[1] CE, 14 mars 2022, n° 434343