Quelle intervention publique pour rentabiliser les investissements verts ?
France Stratégie fournit une estimation du niveau d’intervention publique indispensable pour rendre rentables tous les investissements bas carbone nécessaires à la transition climatique, réalisés par les ménages et les entreprises.
En mai 2023, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (France Stratégie, un service rattaché au Premier ministre) a publié le rapport sur les impacts macroéconomiques de la transition climatique confié à l’économiste Jean Pisani-Ferry par la Première ministre d’alors, Élisabeth Borne. Destiné à guider les choix de politique publique des prochaines années, ce travail s’est notamment attaché à estimer le niveau d’investissements privés et publics nécessaire à cette transition. Pour encourager les acteurs économiques à investir rapidement, il suggère que le secteur public finance 50 % des investissements totaux d’ici à 2030.
Affiner les estimations du rapport Pisani-Ferry
Dans le prolongement de ce rapport, France Stratégie a publié en octobre dernier une note d'analyse intitulé « Investissements bas carbone : comment les rendre rentables ? » Objectifs de cette étude : affiner l'estimation des investissements nécessaires à la transition climatique, quantifier la part rentable de ces investissements pour les ménages, les entreprises et les collectivités, estimer les montants nécessaires pour rendre rentable ce qui ne l’est pas, et évaluer les contraintes financières qui pèsent sur les ménages.
Pour réaliser ce travail, l’étude s’est focalisée sur deux secteurs : le bâtiment et le transport routier. Deux secteurs qui sont de très gros contributeurs aux émissions de CO2 et qui concentrent la grande majorité (85%) des investissements bruts nécessaires, recensés par le précédent rapport : 54 milliards d’euros dans le bâtiment et 32 milliards d’euros dans les transports, soit environ 85 milliards d'euros d'investissements bruts nécessaires, en moyenne, chaque année entre 2024 et 2030.
Seul un tiers des investissements serait rentable sans intervention publique
Sur ces quelque 85 milliards d'euros d'investissements nécessaires, « seul un tiers serait rentable sans intervention publique, si les prix de l'énergie restent à leur niveau de 2024 », estime France Stratégie dans sa note d’analyse. « Leur rentabilité s'améliorerait dans le temps, en particulier dans les transports, notamment grâce aux avancées technologiques dont bénéficient les véhicules électriques. En revanche, dans le bâtiment, les rénovations énergétiques, et en particulier l'isolation thermique, ne seraient généralement pas rentables avec nos hypothèses, sauf intervention significative du secteur public. Seul le changement de système de chauffage du fioul et du gaz vers des pompes à chaleur offrirait une rentabilité notable. »
Quelle intervention publique pour rendre rentables tous les investissements ?
Pour rendre rentables les investissements privés a priori non rentables sans intervention publique, « des transferts d’environ 19 milliards d’euros par an seraient nécessaires entre 2024 et 2030 – à comparer avec un volume de subventions estimé à environ 8 milliards d’euros dans le budget de l’État 2024 –, sans compter les dispositifs non budgétaires, tels que les certificats d’économie d’énergie ». Pour limiter l’impact de ces transferts sur les finances publiques, dans un contexte de fortes restrictions budgétaires, « des incitations réglementaires, des malus sur l’achat d’actifs bruns [ dont l'émetteur exerce des activités néfastes pour le climat ] ou l’usage de taxes carbones pourraient être privilégiés ».
Prendre en compte les contraintes financières
Lorsque des subventions sont nécessaires, « elles devraient être adaptées aux revenus des ménages pour restreindre les effets d’aubaine et inciter les plus modestes à participer à la transition ». Car, une fois réglée la question de la rentabilité des investissements verts, les acteurs économiques peuvent être confrontés à des contraintes d’ordre financier. Au moment de réaliser un investissement qui implique des dépenses significatives, les ménages, et dans une moindre mesure les entreprises, peuvent ne pas disposer des liquidités suffisantes ou de l’accès au crédit nécessaire.
Par exemple, « les remboursements d’un crédit pour l’achat d’une voiture électrique neuve dépasseraient 21 % des revenus pour la moitié des ménages français. Les ménages les moins aisés, en particulier, auront donc besoin d’un soutien supplémentaire pour financer ces investissements. » Autre exemple, la rénovation énergétique des logements : « L’isolation des passoires thermiques nécessiterait 17,6 milliards d’euros d’investissement par an, en moyenne, d’ici 2030. Les rénovations sont particulièrement coûteuses et les ménages peuvent être réticents à les réaliser du fait de doutes sur leur efficacité, leur pénibilité ou leur rentabilité (…). Seuls les ménages les plus aisés pourraient payer une rénovation avec leur épargne mobilisable. Ainsi, la grande majorité des ménages propriétaires seraient forcés d’avoir recours à l’endettement. »