Economie circulaire
Quand l’envahisseur devient ressource…
La Normandie pourrait valoriser des algues brunes invasives à travers, notamment, un biofertilisant. Une démarche gagnant – gagnant qui permettra aux secteurs de la mytiliculture et de l’ostréiculture de transformer un handicap en atout, dans la logique de l’économie circulaire.
La Sargasse japonaise, c’est une plaie ! Introduite dans les années 70 en Europe, cette algue brune originaire du Japon s’est trop rapidement propagée dans la Manche. Pourtant, cette algue invasive pourrait bien se transformer en une ressource nouvelle. C’est l’objet du projet Snotra (Sargasses de Normandie : valorisaTion d’une Ressource Algale), conduit par Synergie Mer et Littoral.
Honnie des mytiliculteurs et des ostréiculteurs, Sargassum muticum, de son vrai nom, s’échoue tous les printemps sur les côtes, et notamment dans les parcs à huîtres ou sur les bouchots à moules. Elle génère ainsi des dégâts importants, par exemple, en servant « d’échelle » aux prédateurs qui accèdent ainsi trop facilement aux précieux coquillages.
Un gisement de 15 000 tonnes au large de la Normandie
Les ostréiculteurs et mytiliculteurs ont trouvé la parade : des barrages qui bloquent les algues flottantes en amont des parcs. Mais que faire de toutes ces algues capturées ? « L’administration ne souhaitait pas autoriser cette technique de barrage, notamment à cause de l’incertitude sur le devenir de ces algues », constate Sébastien Pien, chef du projet Snotra à Synergie Mer et Littoral. C’est donc très logiquement qu’un projet de valorisation de cette riche matière organique est né.
Financé par le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp) avec le soutien de la Région Normandie, le projet initié en 2017 a démontré sa pertinence. Au total, c’est un gisement de 15 000 tonnes d’algues brunes japonaises qui pourrait être exploité en Normandie, principalement au large du Cotentin et de la côte de Nacre, mais aussi, de manière plus modeste, au large du cap d’Antifer. « Il faut des gisements avec une quantité suffisante pour que ce soit exploitable », précise Sébastien Pien.
Des applications en agriculture
D’autant que la récolte de l’algue doit se faire préférentiellement sur pied, pour des raisons de qualité. C’est dans ce cas que l’extraction de composés a démontré la possibilité de fabriquer un biofertilisant. Celui-ci pourrait être appliqué sur les cultures maraîchères de Normandie, dans une logique positive d’économie circulaire. Les premières applications sur cultures ont été réalisées l’année dernière et semblent prometteuses, même si les résultats ne pourront être mesurés que sur la durée. Tout reste toutefois à construire. Pour l’heure, les porteurs du projet travaillent avec des matières actives brutes. « Le processus le plus long, c’est la formulation » précise Sébastien Pien. Les propriétés gélifiantes de l’algue peuvent aussi être exploitées. S’il n’est pas question d’aboutir à un gélifiant alimentaire, les porteurs du projet envisagent de l’utiliser pour fixer les semences de carottes sur le sable.
Des perspectives intéressantes. Mais la recherche est, pour l’heure, stoppée dans l’attente de nouveaux fonds. La crise de la Covid-19 a en effet amené les autorités européennes à réorienter les fonds du Feamp vers le soutien direct aux entreprises, plutôt qu’à la recherche. Tout le monde attend donc des jours meilleurs...
Pour Aletheia Press, Benoit Delabre