Entreprises
Produire en France, une bataille
Trouver des terrains, des financements... Produire en France, c'est se confronter à de nombreuses difficultés. Et aussi, à une politique publique davantage tournée vers la création de nouvelles usines que la défense de celles existantes ? Témoignages d'entrepreneuses, avant la tenue du salon MIF Expo de Paris (du 8 au 11 novembre).
Pour produire en France, il faut y croire. Plusieurs intervenants de l'écosystème du MIF, Made in France, sont venus témoigner de leur démarche, lors d'une table ronde organisée par l'AJPME, Association des journalistes spécialisés dans les PME, le 22 octobre, à Paris.
Les difficultés démarrent dès l'installation de l'outil productif ! Acceptabilité sociale, contraintes légales, dont celle du dispositif ZAN, Zéro artificialisation nette, attitude des élus locaux, longueur des démarches... Dix-huit mois, par exemple, pour celles préalables à l'installation d'une usine pour Richard Pontvert SA Paraboot, fabricant de chaussures ( 200 salariés, 26 millions d’euros de chiffre d'affaires). La société devait déménager de son site historique, en Isère. « Comme activité industrielle, nous sommes allés nous installer dans une zone industrielle prévue à cet effet. Mais il a fallu refaire l'analyse des sols, de la biodiversité … », témoigne Clémentine Colin-Richard, administratrice de la société. Elle a été également étonnée du peu d'empressement des collectivités locales à accueillir l'établissement (160 emplois).
Mais ce n'est pas toujours le cas : Alexandrine Charonnat, directrice générale de Le Lorrain Hampiaux, fabricant nancéien de matériel de soudage ( 10 millions d’euros d'euros de chiffre d'affaires, 45 salariés) qui cherchait un terrain a reçu un bon accueil. En revanche, « un certain nombre de nos adhérents se trouvent bloqués dans leurs projets en raison de la loi ZAN », ajoute Caroline Demoyer, directrice des affaires publiques d’Evolis, organisation professionnelle industrielle représentant les fabricants de machines et solutions technologiques pour l’industrie. Par exemple, « l'un deux, qui voulait étendre son site, n'a pas pu. Il a donc construit en hauteur, mais les riverains ont estimé que cela gâchait le paysage. Il a été obligé de peindre les deux derniers étages en bleu. Cet épisode a pris un an et demi, et avec la hausse des prix dans la construction, un million d'euros en plus », explique Caroline Demoyer.
Autre difficulté du MIF soulignée par les intervenants, le financement. « Les entreprises industrielles ont des besoins en fonds de roulement. Mais l'industrie, c'est le temps long. Pour les fonds d'investissement, c'est compliqué », note Gilles Attaf, qui préside l'association gérant le label OFG, Origine France Garantie. Côté banques, « aujourd'hui, nous avons des entreprises qui ont un peu de carnet de commandes, mais il leur manque le cash pour alimenter la machine », explique Clémentine Colin-Richard ( en tant que présidente de la Fédération de la chaussure). Pour elle, cela « clignote au rouge » chez les banquiers qui voient arriver une entreprise de son secteur. La situation, toutefois, a son revers. « Souvent, le partenaire bancaire fait un peu peur. Il faut entretenir de bonnes relations », admet Clémentine Colin-Richard. L'histoire familiale de son entreprise illustre cette réticence. En s'adressant à des banques pour financer son nouveau projet d'usine (10 millions d'euros), elle a rompu avec une longue tradition : « nous finançons toujours notre investissement. Zéro banque ».
« Nous avons un patrimoine, gardons-le »
Alexandrine Charonnat souligne une autre difficulté : « Notre problématique, ce sont des produits chinois qui sont vendus à des prix à la limite de nos coûts de matière », pointe l'entrepreneuse. Ces produits, - en plus d'être dangereux, selon elle- sont estampillés « modèle France ». Comment faire valoir les produits réellement fabriqués en France, si ceux qui viennent de pays à bas coût de production peuvent communiquer de la sorte ? Par exemple, contrairement à celui suisse, le drapeau français peut être apposé sur un produit réalisé au Canada, selon Gilles Attaf. Alors, il existe bien le MIF, Made in France, qui découle de la réglementation européenne et prévoit qu'un produit acquiert l'origine du pays où il a subi la dernière transformation substantielle. La démarche, facultative, est déclarative. Et dans les faits, « les douanes manquent de moyens et d'effectifs pour contrôler », constate Gilles Attaf, le président d’Origine France Garantie. Le label OFG certifie qu'une gamme de produits est réalisée en France (avec des critères beaucoup plus exigeants que la mention MIF). Mais pour Clémentine Colin-Richard, l'OFG ne constitue pas vraiment une solution :« Il est désolant que l'on mette au point de nouveaux labels, parce que l'on n'est pas capable de défendre les règles existantes. Il faudrait se donner les moyens de contrôler. Pourquoi ne pas faire du name and shame ?»
Dans le petit écosystème du MIF, un autre sujet fait débat : le terme de « réindustrialisation » qui s'est imposé dans le débat public. « Ce terme me plaît car il indique que nous ne sommes plus dans le déni » de la désindustrialisation du tissu économique, souligne Gilles Attaf. Les deux cheffes d'entreprises sont beaucoup moins enthousiastes. « J'aimerais bien que l'on n’oublie pas ceux qui ne sont jamais partis . Nous, on est là depuis tellement longtemps qu'on fait partie du paysage, alors que les gigafactories font rêver », pointe Clémentine Colin-Richard, dont l'entreprise familiale a été fondée en 1908. « Huawei va créer 500 emplois en Alsace. Cela m'ébranle un peu. C 'est très bien, mais on peut aussi se poser des questions. Aujourd'hui, il existe un très grand nombre d'entreprises à reprendre. Par ailleurs, alors que je souhaite garder des fournisseurs proches, je les vois partir (…). Nous avons un patrimoine, gardons-le. Les aides et les efforts vers les entreprises devraient aller en ce sens », renchérit Alexandrine Charonnat. La société qu'elle a reprise en 2020, classée EPV, Entreprise patrimoine vivant, a été fondée en 1946.