Précarité énergétique en France : tous les indicateurs sont orientés à la hausse
La mauvaise qualité thermique des logements et le manque de ressources financières pour faire face aux factures d’énergie demeurent une préoccupation et un enjeu majeurs en France, rappellent plusieurs associations, à l’occasion de la Journée contre la précarité énergétique
Rencontres et débats publics, visites de chantiers, séminaires pour les professionnels… Un grand nombre d’évènements ont été organisés à travers la France, ce 23 novembre pour la troisième édition de la Journée contre la précarité énergétique. Une initiative lancée par la Fondation Abbé Pierre en 2021, rejointe par d’autres associations depuis. « Nous sommes heureux de voir que cette journée prend de l’ampleur », a déclaré Maïder Olivier, chargée de plaidoyer à la Fondation Abbé Pierre, lors d’une conférence de presse organisée en amont de l’évènement, mais « tous les indicateurs de la précarité sont à la hausse », a-t-elle immédiatement ajouté.
Un quart des ménages français ont souffert du froid dans l’année
De fait, les résultats de la dernière enquête du médiateur national de l’Énergie (lire l’encadré) montrent que « la précarité énergétique continue d’augmenter, et fortement », a poursuivi Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. « Un quart des ménages ont souffert du froid dans l’année, certains pour des raisons financières, mais aussi pour des questions d’isolation ». Une situation qui a de lourdes conséquences sur la qualité de vie et la santé. Autre constat du baromètre Énergie-Info : « les jeunes sont très touchés » par la précarité énergétique.
Pour lutter contre ce fléau, plusieurs dispositions législatives ont été prises pour encourager les rénovations énergétiques des logements et bâtiments. L’interdiction progressive de la location des passoires thermiques (DPE classé G, F, puis E) est destinée à pousser les propriétaires à les rénover. En parallèle, le gouvernement a mis en place des aides financières – MaPrimeRénov’, réduction fiscale – pour inciter tous les propriétaires à engager ce type de travaux. Des aides dont le montant va fortement augmenter (le budget de MaPrimeRénov’ devrait atteindre 4 milliards d’euros l’année prochaine) pour parvenir à l’objectif de 200 000 rénovations énergétiques globales en 2024, en réduisant le reste à charge pour les propriétaires les plus modestes.
Aide à la rénovation : des évolutions positives, mais insuffisantes
« Il y a des évolutions positives dans l’aide à la rénovation », a souligné le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, mais « pas pour l’aide au paiement des factures », a-t-il regretté. En effet, il n’y aura pas de chèques énergie exceptionnels en 2023, alors que les boucliers tarifaires mis en place par le gouvernement disparaissent progressivement. « C’est la raison pour laquelle nous demandons un élargissement [des conditions d’éligibilité] des chèques énergie et une augmentation de leur montant. »
Autre demande portée par la Fondation auprès des pouvoirs publics : « Mieux articuler la lutte contre la précarité énergétique et la lutte contre l’habitat indigne. Il faut que MaPrimeRénov’ soit couplée avec les aides pour sortir de l’indignité un certain nombre de logements. » La Fondation s’est aussi fortement mobilisée contre les coupures d’énergie opérées par les fournisseurs du fait d’impayés. « Nous avons travaillé avec EDF pour passer des coupures aux réductions, et EDF a choisi d’arrêter les coupures. Mais nous militons, depuis un certain temps, pour faire interdire les coupures d’énergie par la loi. » Enfin, il ne faut pas oublier les « bouilloires énergétiques », l’été : « il faut aussi intervenir sur cette forme de mal logement par des solutions durables et le développement des îlots urbains ».
Rester vigilant sur la performance des rénovations
Responsable des affaires publiques chez Dorémi, une entreprise de l’économie sociale et solidaire spécialisée dans la transformation de la performance des logements, Léana Msika s’est elle-aussi félicitée « des avancées très positives et que nous souhaitions » sur le terrain des aides financières, tout en soulevant « de gros points de vigilance », quant à la mise en œuvre technique de cette réforme. « Depuis 2020, environ deux millions de rénovations ont été [financièrement] accompagnées par l’État, dont environ 10% de rénovations globales », a-t-elle rappelé. Pour 2024, l’objectif de l’État est de privilégier les rénovations « d’ampleur », un terme jugé imprécis par les spécialistes. « Nous attendons les arrêtés qui vont donner les détails techniques sur les critères de performance attendus. » Et de rappeler qu’une rénovation « performante » est définie par le Code de la construction et de l’habitation, comme une transformation qui fait passer le logement en classe A ou B après travaux, ou par exception, en classe C.
La précarité énergétique au cœur de la transition écologique de la France
« Derrière la précarité énergétique il y a aussi la question de la trajectoire énergétique de la France », a souligné Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, association qui a rejoint, dès la première année, l’initiative de la Fondation Abbé Pierre de créer un rendez-vous annuel pour parler de cet enjeu. Pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris, « il est déterminant de travailler à limiter les émissions de gaz à effet de serre du secteur du logement et du bâtiment, c’est un levier clé de la transition énergétique ». Pour les associations écologiques, il faut travailler « sur un triptyque sobriété-efficacité-énergie renouvelable ». Et sur ce terrain, « la norme et la contrainte – telle que l’interdiction de location des passoires thermiques –, c’est déterminant pour accélérer les choses. Mais la contrainte doit être accompagnée. »
Factures d’énergie : une préoccupation pour un nombre croissant de Français
Selon le baromètre annuel du Médiateur national de l’énergie, réalisé en septembre 2023 et publié mi-octobre, huit foyers sur 10 déclarent avoir restreint leur chauffage pendant l’hiver pour ne pas avoir à payer de factures trop élevées. Ce taux, qui était de 69% en septembre 2022, n’a jamais été aussi élevé. Plus de sept consommateurs sur 10 ont constaté une augmentation de leurs factures d’énergie sur les douze derniers mois et neuf sur 10 déclarent que la consommation d’énergie est un sujet de préoccupation pour eux. Il ressort également de cette enquête que la sobriété énergétique est avant tout motivée par des raisons économiques plutôt qu’écologiques – la réduction des factures reste de loin le premier motif (85%) – et que les factures d’énergie pèsent de plus en plus sur le budget des consommateurs. La mise en place des boucliers tarifaires est connue et saluée par une majorité des personnes interrogées : les deux tiers savent que l’État a mis en place des mesures pour limiter la hausse des prix de l’énergie et sont majoritairement convaincus que les boucliers tarifaires ont permis de limiter la hausse des prix de l’électricité (91%) et du gaz, dans une moindre mesure (79%). Source : Baromètre Energie-Info 2023