Précarité : à visages multiples, la pauvreté gagne du terrain en France
La pauvreté augmente en France, selon le rapport de l'Observatoire des inégalités. Avec des conséquences très différentes pour ceux qui la subissent, selon qu'ils sont dans une situation d'extrême pauvreté ou de privations au quotidien.
La pauvreté en France progresse. Tel est le constat de la quatrième édition du rapport sur la pauvreté, publié le 3 décembre par l’Observatoire des inégalités, organisme indépendant qui fait référence en la matière. La pauvreté concerne 5,1 millions de personnes, soit 8,1% de la population, contre 6,6% en 2002 (+1,5 point). Sur le long terme, le phénomène avait baissé dans les années 1970 et 1980, pour se stabiliser jusqu'au début des années 2000, et ne cesser ensuite de croître.
L'Observatoire des inégalités fixe le seuil de pauvreté à 1000 euros par mois pour une personne seule, 1 500 euros pour un couple sans enfant et 2 500 euros pour une famille avec deux enfants de plus de 14 ans. Et l'étude identifie une pluralité de catégories et les profils à risque de pauvreté. Dont l'âge : les enfants et les jeunes de 18 à 29 ans sont nettement plus touchés que les autres tranches d’âge, avec respectivement 11,4% et 10% de pauvres. A l'inverse, les personnes âgées sont nettement moins concernées (moins de 5%). Autre constat de l'étude, les célibataires sont deux fois plus touchés que les couples : 12,8 % des personnes seules de moins de 65 ans sont pauvres, contre 5,6 % des couples. Et les familles monoparentales sont particulièrement à risque (19,2 %).
Autre phénomène encore, celui des travailleurs pauvres : 1,1 million de travailleurs ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Cette proportion reste assez stable depuis 20 ans. L'emploi constitue un rempart limité à la pauvreté, surtout pour les indépendants : 12,5% d'entre eux sont pauvres, contre 2,9% des salariés. Le chiffre atteint près du quart (24,5%) pour les chômeurs et 22,1% pour les inactifs non retraités. Certaines autres catégories de la population sont surreprésentés parmi les personnes pauvres, et notamment les immigrés. Leur taux de pauvreté atteint 18,8% et jusqu'à 23,6% pour les Maghrébins. C'est trois fois plus que la moyenne pour les personnes nées en France. Autres catégories de population particulièrement affectées : les personnes en situation de handicap dont 20% subissent la pauvreté, contre 13% pour -celles qui ne le sont pas. La localisation géographique compte aussi, avec des taux de pauvreté plus élevé dans les territoires d'Outre-mer et les quartiers prioritaires.
Extrême pauvreté ou renoncements quotidiens
L'étude de l'Observatoire dresse aussi un panorama de la manière, très diverse, dont la pauvreté se concrétise pour ceux qui la subissent. Certains sont dans « l'extrême misère ».
Selon le rapport de la Fondation Abbé Pierre de janvier 2024, par exemple, 330 000 personnes n'ont pas de domicile et vivent à la rue, à l'hôtel social ou en centre d'hébergement. L'Observatoire note la difficulté de décrire le quotidien de ces personnes qui passent souvent sous les radars. Une seule certitude, sur le plan pécuniaire, « les plus pauvres des plus pauvres n’ont pas de problème de fin de mois : ils n’ont rien dès le premier jour », résume l'étude. Le Secours catholique, qui soutient un million de personnes, donne un aperçu de leur manière de vivre. Ils sont contraints de recourir au soutien d’amis, de leur famille, d’associations caritatives ou de centres communaux d’action sociale qui peuvent fournir vêtements, nourriture, hébergement et soins... Les quelques euros dont ils disposent éventuellement seront notamment employés pour payer des dépenses de téléphonie mobile, devenue indispensable. En résumé, « leur vie consiste à assurer le minimum pour survivre et à espérer des jours meilleurs ».
Une catégorie beaucoup plus vaste de la population française n'est pas réduite à ces extrémités mais subit un « quotidien fait de renoncements et d’inquiétude », selon l'étude. D'après l'Insee, par exemple, en 2023, 13,1 % des ménages (9 millions de personnes) étaient en situation de « privation matérielle et sociale ». Par exemple, ils ne sont pas en mesure de maintenir leur logement à bonne température par manque de moyens financiers. Dans le même sens, l'étude note que, parmi les 20% des ménages les plus modestes en France, 62 % déclarent qu’ils ne pourraient pas faire face à une dépense imprévue de 1 000 euros et 56 % qu’ils ne peuvent pas changer un meuble hors d’usage. La vie sociale et les loisirs se réduisent comme peau de chagrin : 53 % d’entre eux disent ne pas pouvoir partir en vacances, 15 % ne peuvent pas s’offrir un verre ou un repas en famille ou entre amis.
Palmarès européen de la pauvreté
En 2021, France et Allemagne affichaient un même taux de pauvreté : 8,5 % de la population sous ce seuil. C'est moins que l'Italie (13 %) et l'Espagne (13,7 %), et beaucoup plus que la République tchèque qui affichait le score le plus bas (5,4%), selon les données d’Eurostat.