PME : comment recruter ?
Accepter des prétentions salariales exorbitantes pour enfin parvenir à embaucher n'est pas forcément la solution... Le recrutement : sur ce sujet crucial, regards croisés de Marie Hombrouck, chasseuse de tête et Émeric Oudin, président du CJD, réunis par l'Ajpme, Association des journalistes spécialisés dans les PME.
Embaucher : c’est devenu aujourd'hui, l'une des préoccupations majeures des chefs d'entreprises. Le 23 novembre, l'AJPME, Association des journalistes spécialisés dans les PME, organisait une rencontre sur le thème « Les PME face aux enjeux du recrutement : comment attirer et fidéliser les talents ? » Avec Émeric Oudin, président du CJD, Centre des jeunes dirigeants d'entreprise, et Marie Hombrouck, chasseuse de tête, qui vient de publier l’ouvrage « Et si vous trouviez (enfin) le job idéal ! » (Éd. Vuibert). « Ces douze derniers mois, les trois quarts des PME et des TPE qui ont souhaité recruter ont connu des difficultés d'après une étude de Bpifrance », rappelait Corinne Caillaud, journaliste au Figaro, qui animait la rencontre. Émeric Oudin confirme cet état des lieux : environ sept adhérents sur 10 du CJD disposent au moins d'un emploi vacant dans leur entreprise. Certains secteurs sont particulièrement touchés, comme les services aux entreprises, le BTP, l'industrie, le commerce, et l'hôtellerie/restauration. Toutefois, si plus de la moitié des chefs d'entreprises estiment que les difficultés ont été aggravées par le Covid, « le sujet n'est pas nouveau », rappelle Émeric Oudin.
Pour le président du CJD, le phénomène, qui touche tous types de métiers, a des racines « multifactorielles ». Parmi celles-ci, figure un problème de mise en relation entre les demandeurs d'emploi et les entreprises. « La mission de mise en cohérence entre les besoins des entreprises et les compétences existantes n'est pas bien remplie par Pôle Emploi », estime Émeric Oudin. Lequel, comme chef d'une PME, Axe Environnement, qui fabrique du matériel pour protéger les agriculteurs et l'environnement, recourt plutôt à Linkedin ou Leboncoin pour ses embauches, selon les profils recherchés.
« Ouvrez-vous à de nouvelles méthodes de travail »
Autre cause constatée de la difficulté à embaucher : la géographie, certaines destinations étant plus « désirables » que d'autres (Lyon versus Charleville-Mézières). Autre handicap encore, celui-ci commun à toutes les PME : « nous souffrons d'une carence de notoriété », estime Émeric Oudin, mettant par exemple en cause les grandes écoles, plus enclines à mettre leurs étudiants en relation avec des entreprises de taille importante.
Pour autant, ces difficultés ne sont pas nécessairement insurmontables : pour Marie Hombrouck, le numérique représente pour les PME une opportunité de pallier leur manque de notoriété : elles peuvent se faire connaître plus facilement que par le passé, grâce à ces outils. Par ailleurs, « dans un même contexte, des entreprises parviennent à recruter, et d'autres, non », note Émeric Oudin, pointant la question de la responsabilité de l'employeur. Lequel peut rendre son entreprise plus ou moins attractive aux yeux des candidats, par exemple, en acceptant le télétravail. « Ouvrez-vous à de nouvelles méthodes de travail », plaide le président du CJD. Un message qui semble urgent, à l’aune des changements observés par Marie Hombrouck en matière d'attentes des candidats vis à vis de leur vie professionnelle et de leur employeur. Par exemple, le rapport à l'indépendance a évolué, devenu plus désirable : être free-lance n'est plus forcement une situation subie...
Des candidats en quête de sens, d'autres, de salaires mirobolants...
Autre changements observés, qui influent sur le déroulement d'un potentiel recrutement : « depuis dix ans, nous constatons qu'il n'est plus possible d'attirer les candidats comme avant. Aujourd'hui, certains refusent certains secteurs d'activité, comme les transports routiers, le tabac, l'extraction minière, le pétrole, tout ce qui pollue… Il y a une vraie conscience qui évolue chez tous types de candidats », analyse Marie Hombrouck. Une situation qui impose aux employeurs de travailler à « redonner du sens » à leur activité. Et ce, de manière approfondie : « les candidats sont très renseignés (…), si vous ne faites pas ce que vous dites, cela ne marchera pas », prévient-elle. A l'heure des réseaux sociaux et d'Internet, les informations sont disponibles : le babyfoot ne suffira pas...Pour Marie Hombrouck, cette dimension du sens fait partie des trois raisons majeures qui peuvent décider un candidat à rejoindre une entreprise, avec la « rencontre » avec un manager, et les arguments financiers. Car ces derniers sont loin d'avoir disparu. La chasseuse de tête témoigne ainsi d'être confrontée à des néo-diplômés spécialistes des technologies de l'information, qui arrivent avec des exigences dopées par un « marché fou ». 60 000 euros annuels pour un débutant... « Je dis non ! Cela crée une disproportion par rapport aux autres salariés. Ce n'est pas le prix juste du marché », explique Marie Hombrouck. Pour le CJD, qui recherchait un gestionnaire du système d'information, Émeric Oudin a été précisément confronté à cette « foire à la surenchère »... Au final, il trouvé un professionnel au profil plus senior, convaincu par le sens de l'action du CJD. De toute manière, « un candidat que vous gagnez par le salaire, vous le perdez pas le salaire », prévient Émeric Oudin.
Modifier le dialogue social
Pour lui, les entreprises peuvent essayer de développer d'autres méthodes pour attirer -et conserver – les talents. A commencer par l'attitude, lors de l'entretien d'embauche. « Il faut arrêter le rapport de force », propose Émeric Oudin. Lui préfère passer aussi du temps à présenter son projet d'entreprise, afin d'évaluer si un « projet commun » est possible avec le candidat. Dans sa société, il a mis en place l'intéressement. Quant à l'actionnariat salarial, « c'est une solution, mais pas ‘la’ solution. Certains salariés ont envie d'être coactionnaires, et d'autres, pas du tout », note le dirigeant. Par ailleurs, pour lui, les petites entreprises disposent d'un atout possible de souplesse du dialogue social, qui peut apporter un environnement enviable pour les salariés. L'un d'eux connaît un deuil ? « Je n'ai pas regardé la convention collective, et je ne vais pas compter ses jours de congé, je m'en fous complètement », illustre Émeric Oudin. Marie Hombrouck ajoute une liste d'autres tentatives réalisées par des entreprises pour séduire les candidats à l'embauche : suppression des périodes d'essai, principe des vacances « illimitées » laissées à l'appréciation des salariés. Une start-up avait même tenté d'appliquer le même principe aux salaires...Elle a abandonné.