Patrimoine : au bonheur des anciennes gares
Le logement du chef de gare est devenu un bureau, la petite halte accueille une médiathèque ou un cinéma. Héritier d’un vaste réseau de chemin de fer en partie désaffecté, le patrimoine ferroviaire intéresse les entrepreneurs, les associations et les collectivités.
Boulogne-Aéroglisseurs, Metz-Marchandises, Paris-Bestiaux, Néant-Bois de la Roche, Giverny-Limetz… Ces gares aux noms sortis de l’histoire n’existent plus. Elles ont été désaffectées, parfois détruites, n’accueillent plus de voyageurs ni de fret. Certaines d’entre elles n’ont plus de raison d’être : les aéroglisseurs ne traversent plus la Manche au départ de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) et les abattoirs ont été installés hors des villes. Par ailleurs, de nombreuses lignes de chemin de fer ont été transformées ces dernières décennies en « voies vertes » dédiées à la marche et au vélo. La SNCF et les collectivités y voient de multiples avantages : le tracé de ces anciennes lignes est direct, la voie constitue un attrait touristique et maintient un lien entre les villages, et la pente est nécessairement douce, puisque le chemin de fer ne supporte pas de déclivité trop importante.
Le long des voies vertes, les anciennes gares intriguent toujours les promeneurs. Leur architecture du 19ème ou du 20ème siècles, leur disposition laissant deviner la salle des pas perdus ou l’emplacement du guichet, les volets en bois qui donnent une allure de maison proprette, suscitent une forme de nostalgie. Sur une même ligne, les gares affichent un style identique, tuiles rouges et façades blanches, ou volets verts sur murs beiges. A Giverny (Eure), on raconte que c’est par la fenêtre du train que Claude Monet fut séduit par le village où il allait installer son domicile, son jardin et ses chevalets. Le bâtiment de la gare, désaffectée, ressemblerait aujourd’hui à une maison ordinaire sans l’inscription « Giverny-Limetz » en lettres blanches sur fond bleu.
Combien y a-t-il d’anciennes gares en France ? Il est difficile de le dire. La SNCF recense aujourd’hui 3 000 gares en activité, dont un millier qui n’ont plus vocation à accueillir de personnel. Il y a environ un siècle, le réseau ferré comptait 60 000 kilomètres de voies. La SNCF, créée par nationalisation des grandes compagnies ferroviaires en 1938, en avait rassemblé environ 40 000 kilomètres. D’autres lignes, qui ne desservaient que quelques villages, par exemple entre Glos-sur-Risle et Cormeilles, dans l’ouest de l’Eure, étaient restées dans le giron de compagnies privées. Aujourd’hui, les anciennes gares en demeurent le dernier témoin.
Dans le Massif central ou dans la vallée de la Drôme, des associations d’usagers se battent, avec le soutien des élus, pour la remise en service, ou simplement le maintien, d’une ligne et des gares qui la desservent. Les gares d’autrefois vont-elles reprendre du service ? Quelques-unes, peut-être, mais toutes n’ont pas cette vocation. D’ailleurs, même lorsque les trains passent toujours, certains bâtiments ont perdu leur fonction de gare, remplacés, dans le meilleur des cas, par des guichets automatiques. A Courseulles-sur-Mer (Calvados), l’ancienne gare est devenue un cinéma, à La Bernerie-en-Retz (Loire-Atlantique), une médiathèque, à Théoule-sur-Mer (Alpes-Maritimes), une agence immobilière.
Une nouvelle fonction pour des bâtiments surdimensionnés
Cela fait déjà plusieurs décennies que la SNCF cède des bâtiments inutilisés ou surdimensionnés. En 1997, l’hebdomadaire L’Express proposait aux particuliers de « dénicher une gare ou une maison de garde-barrière, pour une valeur de 30 000 à 500 000 francs ». La liste des biens immobiliers disponibles appartenant à l’Etat et aux entreprises publiques était alors consultable « sur le Minitel, 3614 MRAI », précisait le magazine.
Depuis 2019, c’est sur un site dédié que la SNCF présente son programme « 1001 gares », destiné à donner une nouvelle fonction à ses bâtiments vides. Il ne s’agit pas seulement de gares abandonnées. Même dans une gare qui fonctionne, il subsiste des pièces ou des bâtiments qui n’ont plus d’utilité aujourd’hui : logement du chef de gare ou des cheminots, salle des bagages, bureaux déplacés ailleurs, etc. L’entreprise publique met à disposition des « porteurs de projet », entreprises, artistes, associations ou collectivités, ces espaces situés en pleine ville, ou en centre-bourg, et dotés d’un certain cachet.
Les projets des bénéficiaires, tels que rapportés par la SNCF ou la presse régionale, reflètent les préoccupations contemporaines : art de vivre, tourisme local, télétravail, soin de la personne, gastronomie simple et saine. Ainsi, la gare de Millau (Aveyron) accueillera une diététicienne. Dans l’ancien bureau du chef de gare de Marseille Blancarde, une association initie le grand public au travail d’artiste. A Cérons (Gironde), le long de la ligne Bordeaux-Sète, la gare est devenue une « grignotterie », baptisée « Fenêtre sur quai ». Au local s’ajoute un jardin attenant où la jeune restauratrice propose des « menus locaux et de saison », cuisinés à partir des produits achetés à Cadillac, le bourg voisin. A Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or), sur la ligne Dijon-Beaune, et accessible facilement de Lyon ou Paris, il est possible de louer, les mois d’été, des vélos à assistance électrique pour se promener au milieu des vignobles. A Ozoir-la-Ferrière (Seine-et-Marne), le bâtiment pourrait être transformé en pépinière d’entreprises.
Ces évolutions poursuivent, au fond, les logiques à l’œuvre depuis des années dans les quartiers industriels et populaires des grandes villes. A Lille, l’ancienne gare de marchandises Saint-Sauveur, devenue un lieu culturel, fait l’objet d’un projet d’urbanisation. A Dijon, la gare de la Porte-Neuve accueille une école artistique, et les anciennes haltes de la ligne de la petite ceinture, à Paris, se sont transformées en recycleries, cafés branchés ou restaurants chics.