Mobilisation contre le « mal-être en agriculture »
Comment lutter contre le mal-être et sa dernière extrémité, le suicide, dans le monde agricole ? La MSA, Mutualité sociale agricole, réunit les professionnels de terrain qui évoquent leurs approches, parfois basées sur le partage entre personnes qui connaissent des difficultés. Retour d’expériences sur une démarche collective.
Un jour de marché, un emplacement vide… Le petit producteur a peut-être pris un jour de vacances bien mérité. Ou alors, il s’est « passé la corde au cou ». Aboutissement extrême d’une situation de mal-être, le taux de suicide des agriculteurs est supérieur à celui du reste de la société, d’après les données de la MSA, la sécurité sociale agricole, qui en a recensé 529 en 2016, ce qui représente un risque supérieur de 43,2 % par rapport à celui des assurés de l’ensemble des régimes de sécurité sociale. Le 20 avril dernier, à Bobigny, la MSA organisait une rencontre des réseaux des professionnels de l’accompagnement consacré au « mal-être en agriculture : en parler et agir ». Plusieurs dispositifs d’ampleur existent déjà, à l’image du réseau Agri-Sentinelles qui réunit des volontaires travaillant au contact avec les agriculteurs et qui s’impliquent dans la prévention du suicide.
Toutefois, les acteurs de terrain continuent d’élaborer de nouvelles approches complémentaires, adaptées aux situations auxquelles ils font face. Ainsi, lors d’une table ronde, Emmanuelle Bouet, assistante sociale à la MSA du Poitou, a évoqué un nouveau dispositif de formation sur trois jours, « se parler sans s’embourber ». A l’origine de cette formule, son expérience d’accompagnement d’exploitants « qui vont mal », comme Bertrand qui ne sait plus comment parler avec son père et associé, alcoolique. « Je suis témoin. J’écoute ces mal-être et ce qui est frappant, c’est qu’ils ne sont pas nécessairement liés à une difficulté financière. Les questions relationnelles, humaines, pourraient être la clé d’un mieux-être, en tout cas, elles représentent une piste d’action », estime Emmanuelle Bouet. Avec ses collègues et l’association Resa, Réseau d’écoute et de solidarité en agriculture, elle a conçu une démarche collective pour apporter une réponse à ce constat. Durant trois jours, un groupe de ces personnes en souffrance (une par exploitation agricole) se réunissent et viennent reposer des bases pour parvenir, ensuite, à reprendre une communication, un dialogue avec l’autre.
La force du collectif
Pour Emmanuelle Bouet, dans ce cas, le fait que la démarche soit collective se révèle bénéfique. « Le premier groupe de participants que nous avons réunis a mis en place un groupe WhatsApp qui est toujours actif un an plus tard », relate-t-elle. Le témoignage (par visioconférence) de Vincent, ancien salarié agricole qui a vécu une crise majeure, confirme l’intérêt d’une démarche partagée. Il y a six ans, il a subi « de très fortes pressions » dans le domaine viticole où il travaillait depuis 20 ans et auquel il était très attaché, sur fond de graves problèmes familiaux. Un épisode dont il parle toujours avec émotion, même si, depuis, il est parvenu à rebâtir une nouvelle vie professionnelle qui lui correspond. Son chemin est passé par l’écoute attentive et bienveillante d’une assistante sociale de la MSA, puis par une démarche collective. « J’ai assisté à plusieurs groupes de parole. A chaque fois, je voyais que ma parole se libérait, que la pression s’atténuait. Je donnais mon avis sur la problématique d’autres personnes, et tourner mon regard vers elles m’a permis de prendre du recul. Cela allégeait ma souffrance », témoigne-t-il. Le fait de « partager entre pairs » est positif, confirme Pierre Vandel, psychiatre et professeur des universités à la faculté de médecine de Besançon. Par ailleurs, « le lien social protège les personnes de la souffrance », ajoute le psychiatre, un argument qui confirme l’efficacité de dispositifs comme le réseau Agri-Sentinelles. Mais cela n’empêche pas, rappelle Pierre Vandel, la nécessité d’une approche du mal-être qui soit aussi individuelle, en fonction du niveau de la souffrance et de l’acuité de la crise.