Les tiers-lieux, outil de politique publique de développement local ?
Mettre sur pied des lieux où peuvent travailler et se rencontrer artisans, start-up ou entreprises de l'ESS,... y compris en s'ouvrant à la population locale ? C'est le modèle, nécessairement sur-mesure, des tiers-lieux. Un outil potentiel pour les collectivités locales, a montré une récente audition devant la Délégation aux entreprises du Sénat.
Gadget ou précieux outil de politique publique ? Le 15 décembre 2021, la Délégation aux entreprises du Sénat auditionnait Maria Harti, présidente d'Interfaces, sur le thème du développement des tiers-lieux en France. Le descriptif de l'activité d'Interfaces donne un bon aperçu des enjeux et du fonctionnement des tiers-lieux. En effet, la société en gère 25 en France. Ce faisant, elle accompagne 500 projets par an, dont le taux de pérennité à cinq ans, est supérieur à 83%, d'après Maria Harti. Interfaces conseille aussi les collectivités locales dans leurs projets de développement de ces lieux d'innovation. En tant qu'opérateur de ces dispositifs, Interfaces recrute les potentiels entrepreneurs, les accompagne, gère les espaces, et aussi, anime l'écosystème qui s'y déploie, ainsi que les relations de celui-ci avec les acteurs économiques du territoire. ETI et grands groupes, et aussi, experts nécessaires à l'accompagnement des entreprises, mais également financiers, qu'il s'agisse d'investisseurs européens, ou de business angels locaux... « Il s'agit d'abord de créer une communauté d'entrepreneurs sur le territoire. Il est important que les uns et autres s'entraident. Dans un premier temps, nous mettons en relation les jeunes entrepreneurs entre eux, puis, avec les autres entrepreneurs du territoire », explique Maria Harti.
Durant la phase d'accompagnement, les porteurs de projet qui sont aidés, doivent être en mesure de tester leurs produits ou services auprès de premiers clients, afin de pouvoir, dans un deuxième temps, chercher des financements pour leur développement. Au total, insiste Maria Harti, « l'animation de l'écosystème est très importante. (...) Nous travaillons forcément avec les collectivités locales et tous les acteurs locaux qui sont en lien avec les entreprises ». Mais sur ce sujet, beaucoup reste à faire. « Ce type de fonctionnement n'est pas encore rentré dans les mœurs. Il reste un travail d'acculturation à faire », conclut Maria Harti.
Implanter une nouvelle tradition artisanale
Au delà de ces grands principes directeurs, les tiers-lieux sont nécessairement des projets à façon. En effet, selon le projet défini avec la collectivité locale commanditaire, ils visent des objectifs qui peuvent être très variés. Selon le but, et, aussi, les disponibilités financières, la conception du lieu, ses modalités de fonctionnement peuvent être très différentes. Et aussi évoluer, illustrent quelques exemples de projets gérés par Interfaces. Comme le « Village des Métiers d’Art » (2 200 m2 ) que l'entreprise gère en DSP (délégation de service public) depuis 12 ans, à Desvres, près de Boulogne-sur-Mer, et qui a aidé la Communauté de Communes à concevoir et monter le projet. A l'origine, la collectivité souhaitait faire revivre la tradition locale des grands faïenciers, qui date d'il y a plus de 250 ans. Mais depuis plusieurs décennies, les grands noms du secteur, comme Masse ou Géo Martel, avaient fermé leurs portes... Pour l'essentiel, ce savoir-faire avait disparu. « Nous leur avons donc proposé de réaliser un village des métiers d'art. A présent, il compte une quinzaine d'artisans, relieur, céramiste, graveur de métal... D'année en année, la subvention d'équilibre se réduit, car nous avons progressivement enrichi le modèle », synthétise Maria Harti. Par exemple, l'accès aux deux immenses fours à céramique a été ouvert aux artisans venus d'ailleurs. De plus, les artisans forment le public à leur techniques, et plusieurs dispositifs ont été mis en place pour les aider à commercialiser leurs créations : une boutique, des opérations de promotion sur les salons et les réseaux sociaux...Le lieu accueille aussi des résidences d'artisans d'art. « Nous avons adapté le modèle pour que ce tiers- lieu ne soit pas seulement une source de coût pour la collectivité », souligne Maria Harti.
Un mix start-up et culture
Autre exemple de tiers-lieux, très différent dans ses objectifs et son fonctionnement : à la demande de Tours Métropole Val de Loire, Interfaces a mis sur pied MAME, cité de la création et de l'innovation, sise dans une ancienne imprimerie rénovée par la collectivité. Les quelque 12 000 m2 hébergent de nombreuses activités. Un hôtel d'entreprises en accueille environ 70. Il s'agit de jeunes sociétés déjà passées par le stade de la pépinière, généralistes ou spécialisées dans les technologies. Un « living lab », animé par le CHU de Tours, permet d'observer des processus pour mettre au point des services. L'espace comporte également un Fab Lab, qui permet de fabriquer des objets avec des outils partagés, comme des imprimantes 3D. Mais aussi, un espace de co-working... Et également un amphithéâtre, qui bénéficie d'une programmation culturelle toute l'année. « Ce qui est important, c’est le flux qu'on génère. Il n'est pas interdit de mixer entreprises technologiques et programmation culturelle, bien au contraire (…) Par ailleurs, il est nécessaire de cumuler plusieurs sources de revenus pour qu'un lieu soit rentable. (...) Le coworking tout seul ne peut pas l'être », décrypte Maria Harti.
Dernier exemple, enfin, celui de la Maison de l'insertion par le développement économique, avec comme commanditaire l’Eurométropole de Strasbourg. Le lieu regroupe différentes associations qui travaillent dans un quartier prioritaire de la ville (QPV), le Neuhof. Son objectif consiste à accueillir les jeunes pour les aider à entreprendre. « Nous avons trouvé que nous n'étions pas assez performants, donc, nous nous adaptons », reconnaît Maria Harti. L'accompagnement va donc évoluer, pour insister davantage sur les soft skills (la manière de se présenter, de parler de son projet... ). Interfaces travaille aussi sur un dispositif de mentorat, d'accompagnement personnalisé des jeunes par des professionnels en poste, avec de grandes entreprises. Les fondations de celles-ci pourront également financer le dispositif, une solution indolore pour le budget de la métropole.
Des milliers de tiers-lieux
Il existe 2 500 tiers-lieux en France (2021). Et leur nombre pourrait atteindre 3 500 d'ici la fin de l'année, d'après le rapport « Nos territoires en action », publié l'an dernier par France Tiers-Lieux, chargé de leur développement et de leur promotion. Environ deux millions de personnes fréquentent annuellement ces lieux, pour exercer une large palette d'activités : télétravail, co-working, recyclage, réparation, jardins partagés, épiceries solidaires, fabrication.