Les marchés fonciers ruraux au plus haut
Les chiffres de 2019, publiés fin mai, affichent plusieurs records. Les Safer se réjouissent du recul du marché de l’urbanisation, et en appellent à une maîtrise de l’étalement urbain.
Des transactions en hausse, davantage de surfaces vendues, une progression du chiffre d’affaire à deux chiffres (12,6%) : les marchés fonciers ruraux ont connu «une année 2019 extrêmement dynamique», souligne Loïc Jegouzo, ingénieur à la Fédération nationale des Safer (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural), chargées depuis les années 1960 d’organiser l’exploitation agricole. Tous les marchés participent à ce dynamisme, «sauf celui de l’urbanisation», précisent les Safer, dans un document publié fin mai. La transformation des terres agricoles en zone urbaine n’a plus la cote, en tous cas d’après les chiffres de 2019, avant les bouleversements du printemps 2020.
Les marchés des terres et prés, des vignes, forêts et maisons à la campagne enregistrent tous des hausses significatives, bien qu’évoluant dans des contextes différents. Les échanges de terres et prés se multiplient en raison des «départs à la retraite, et cela devrait s’intensifier», observe Loïc Jegouzo. Entre 2020 et 2030, un tiers des exploitants arriveront à l’âge de la retraite.
Les prix des vignes progressent grâce à trois segments, les appellations prestigieuses en Champagne ou dans le Bordelais, le cognac, dont 98% de la production est exportée, et les vins du Languedoc, qui demeurent dynamiques. Le nombre de transactions et la valeur des forêts atteignent un niveau historique, porté notamment par les surfaces de un à dix hectares, prisées aussi bien pour les loisirs que comme placement. Enfin, plus de 100 000 ventes de maisons à la campagne ont été enregistrées l’an dernier, un record. Le prix moyen du lot, 171 000 euros, demeure bien inférieur à celui de l’immobilier urbain.
L’urbanisation connaît en revanche «une tendance à la modération». Le nombre d’échanges est en baisse en 2019, pour la troisième année consécutive. Cette tendance est en phase avec les choix publics, en particulier l’objectif de «zéro artificialisation nette» programmé par le plan national en faveur de la biodiversité de 2018. Les Safer rappellent qu’elles ont adressé au ministère de la Transition écologique et solidaire, en avril, une contribution précisant les termes de cet objectif. «Il convient de placer les espaces naturels, agricoles, et forestiers en dehors de tout projet provoquant une artificialisation. Ainsi, le développement urbain ne peut se faire qu’au sein de l’enveloppe urbaine déjà existante». Cette contribution ne contient rien que ne disent déjà les spécialistes de l’étalement urbain, sauf à constater qu’exceptionnellement, les Safer prennent position sur la formation de la ville, et non plus seulement sur l’avenir de la campagne.
Les résultats de cette politique se font toutefois attendre. «Les surfaces consommées restent trop importantes», reconnaît la Fédération. Un segment, en particulier, montre que le marché fait un peu ce qu’il veut. «On constate une forme de tension sur les lots à bâtir de plus d’un hectare», note Loïc Jegouzo. Une tendance politiquement incorrecte, alors que les recommandations publiques visent à privilégier les terrains plus petits.
L’élevage serait «en danger»
Le régulateur s’inquiète, comme les années précédentes, de la progression des cessions de parts sociales. Les parcelles agricoles appartiennent de plus en plus à des sociétés d’exploitation ou sociétés de portage, et non plus seulement à des particuliers. Les échanges de parts sociales s’élèvent déjà, en 2019, à 1,2 milliard d’euros, soit 18% du total, et ce marché reste largement méconnu. Il s’agit en majorité de cessions partielles, non régulées, qui peuvent aboutir sur le contrôle d’une société et du foncier correspondant. «En deux cessions partielles, la même année, un investisseur peut accéder au contrôle d’une société», indique Loïc Jegouzo. Les Safer avaient contribué, les années précédentes, à alerter l’opinion sur le contrôle des sociétaires «étrangers». Dans l’Indre, l’achat de plusieurs parcelles par des investisseurs chinois avait ému certains responsables politiques. Cette année, la Fédération cherche plutôt à apaiser les esprits : «Il ne faut pas donner aux investisseurs étrangers davantage de place qu’ils n’en ont. 98,9% des acquéreurs de parts sociales résident en France, et leurs acquisitions représentent 96,3% du total». Toutefois, le pays de résidence n’induit pas nécessairement la nationalité. «Il peut y avoir des sociétés immatriculées en France, détenues par des acquéreurs étrangers», indique le gendarme des terres agricoles, qui plaide pour «une régulation immédiate» de ce marché.
Les Safer lancent cette année un nouveau cri alarmiste, «la diminution des exploitations d’élevage au profit des grandes cultures». L’élevage serait même «en danger», menacé par «la fin des quotas laitiers, la diminution de consommation de viande et les préoccupations liées au bien-être animal».
Même si les chiffres publiés fin mai ne prenaient en compte que l’année 2019, les Safer n’ont pu s’abstraire de la crise en cours. L’autorité craint les faillites des exploitants, les retraites anticipées, la concentration accrue, et plaide pour une relocalisation des productions agricoles. Enfin, pour Loïc Jegouzo, «il est trop tôt pour mesurer l’effet de la crise sanitaire sur les achats de maisons à la campagne». Certes, «les consultations d’annonces pour les biens ruraux ont augmenté pendant le confinement», mais pour les constats chiffrés, il faudra attendre le printemps 2021.
Olivier RAZEMON