Les entreprises vont-elles se convertir à l'achat d'occasion ?
Ordinateurs, mobilier de bureau... L'achat d'occasion reste une pratique émergente pour les entreprises. Mais les préoccupations environnementales, économiques et d'accessibilité des produits pourraient booster la demande, d'autant qu'une offre se constitue, encouragée par le législateur.
« Pour l'instant, les habitudes adoptées par les particuliers dans la sphère privée, avec l'utilisation de sites comme Leboncoin ou Vinted, ne se sont pas transposées dans le monde de l'entreprise », constate Sophie Scantamburlo-Contreras, co-fondatrice de SCOP3, plateforme qui propose aux professionnels de vendre et acheter divers types de biens, créée en 2021. De fait, d'après l'Observatoire Cetelem sur la consommation (2022), un Européen sur deux cherche à faire des économies en achetant des produits de seconde main. Et en France, le marché d’occasion pèse déjà 7 milliards d’euros (2021-Global data). Concernant les professionnels, en revanche, les chiffres manquent, tant le phénomène semble encore émergent. C'est ce qui transparaît du 13e baromètre de l'Observatoire des achats responsables (février 2022). D'après l'étude, 9% seulement des entreprises ont réalisé des achats d'occasion et mesuré leurs résultats. 17% d'entre elles se sont fixées des objectifs en la matière. Et 42% ne traitent pas du tout ce sujet. En fait, l'achat d'occasion figure tout en bas de la liste des priorités que se donnent les entreprises en matière d'achats responsables. Pour l'essentiel, les sociétés se focalisent sur les problématiques de réduction des déchets et diminution de la consommation d'énergie. Pour autant, « le fait qu'il n'y ait pas de chiffres ne signifie pas que les entreprises ne font rien. En particulier, on commence à voir une attention portée aux produits technologiques et à la téléphonie », tempère Nathalie Paillon, directrice des opérations et des études à l’Observatoire des achats responsables.
Aujourd'hui, des entreprises très diverses sont susceptibles de trouver un intérêt à cette démarche. « Nous avons une assez large diversité de clients. Cela va de la start-up au groupe », relate Sophie Scantamburlo-Contreras. Le constat est similaire chez Bluedigo, société créée en 2019, qui propose du matériel de bureau. Elle affiche 2 millions d’euros de chiffres d'affaires en 2021 et plus de 1 200 clients (pour l'essentiel des entreprises) servis depuis sa création. « Nous nous sommes lancés avec une offre calibrée pour les PME, les TPE, les professions libérales. (…) Depuis un an, de grandes entreprises comme l'AFP ou Bouygues Construction franchissent le pas », constate Maxime Baffert, fondateur et CEO de la société.
« Les locaux comme cathédrale, c'est fini »
De fait, plusieurs dynamiques vont dans le sens du développement de l'achat d'occasion des entreprises. Car les motivations -plurielles - des sociétés se font de plus en plus pressantes. « Il y a une volonté de bien faire, d'avoir une démarche RSE qui passe avant le souci des économies », note Sophie Scantamburlo-Contreras. Or, acheter d'occasion permet aux entreprises d'améliorer leur bilan carbone. « La lame de fond de prise en compte des enjeux écologiques touche aussi les entreprises. Cela cohabite avec la motivation économique », estime pour sa part Maxime Baffert. Chez ses clients, les priorités différèrent en fonction du type d' entreprise, « depuis la PME familiale dont le patron ne veut pas payer trop cher, à la start-up très orientée environnement, mais aussi au cabinet d'avocat désireux d'attirer des collaborateurs », décrit Maxime Baffert. En outre, la généralisation du télétravail, à laquelle s'ajoutent des délais et prix qui explosent actuellement, encouragent aussi les sociétés à adopter cette pratique. « Les locaux comme cathédrale, reflet de la puissance de l'entreprise, c'est fini. Avec le développement du télétravail, les entreprises n'ont plus forcément envie de mettre des montants très importants dans les bureaux », témoigne Maxime Baffert. De plus, « il existe un facteur conjoncturel : avec les difficultés d'approvisionnement, aujourd'hui, si vous voulez du neuf cela peut prendre jusqu'à vingt semaines de délai, alors qu'en trois semaines, nous pouvons préparer le mobilier », poursuit le dirigeant.
Une offre qui se construit
Une autre dynamique pourrait encourager les entreprises : une multitude d'acteurs travaillent à élaborer une offre professionnelle qui répond à leurs exigences, faite de marques prestigieuses, service après-vente efficace, garanties, processus de paiement après réception et approbation du matériel... « Les retours d'expérience de notre service client montrent que les premiers freins sont celui du temps passé et la crainte de la complexité de la démarche. Sur Internet, quand on cherche à vendre ou acheter d'occasion, c'est une véritable jungle. De nombreux sites proposent une offre, mais il faut aller piocher, cela prend du temps. On se dit que ce sera plus rapide d'acheter du neuf », explique Sophie Scantamburlo-Contreras. « Nous ne sommes pas les premiers à proposer du mobilier de seconde main, mais nous voulons sortir ce marché du cliché de produits un peu sales, dépareillés...Pour nous, il est important de répondre aux attentes des clients, ne pas décevoir », précise de son coté Maxime Baffert. Lequel récupère auprès de grandes entreprises de grandes séries de mobilier (une centaine de bureaux identiques, par exemple). Car la question du sourcing est centrale : l'organisation de véritables filières- à dimension locale, possiblement - est en jeu. Il s'agit de mettre sur pied des circuits de récupération des biens- neufs ou pas-, et éventuellement d'assurer un traitement qui les rendent opérationnels.
Les offres se multiplient dans les différents domaines qui intéressent les entreprises, du mobilier à la téléphonie, en passant par des besoins plus spécifiques comme du matériel agricole ou pour le BTP. Par exemple, dans l'informatique, Greentraders, une marketplace, propose des produits reconditionnés . Autre exemple, YesYes, un reconditionneur qui propose la vente de smartphones de seconde main. Pour le mobilier de bureau, certaines sociétés, comme Simon Bureau, Tricycle Office ou Bluedigo proposent de grandes marques (Steelcase, Haworth, Vitra...). D'autres, des meubles créés sur mesure à partir de matériaux recyclés, à l'image de Atelier Extramuros ou Furniture for good. Pour le bâtiment, plusieurs acteurs ont émergé, dont Backacia. Dans ce contexte, « en permettant la constitution d'une offre, la mesure de la loi AGEC [loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire ] concernant le secteur public va constituer le principal moteur du marché », analyse Nathalie Paillon. Le 1er janvier dernier, en effet, un décret d'application est rentré en vigueur. Il oblige les acheteurs publics à consacrer au moins 20% de leurs achats à des produits reconditionnés ou issus du réemploi.