De la cooptation à la formation accélérée : les bonnes pratiques du recrutement
Plus d’une entreprise sur trois déclare actuellement vouloir embaucher alors que recruter n’a jamais été aussi difficile. Comment tirer son épingle du jeu dans un marché du travail devenu extrêmement concurrentiel ? A l’occasion d’une table-ronde, organisée en juin, par la rédaction de l’Opinion « Dix solutions concrètes pour réussir à recruter », trois entreprises ont livré leurs bonnes pratiques pour attirer les talents.
« Les employeurs sont moins dans la séduction qu’il ne le faudrait, c’est pourtant à eux d’aller au-devant des candidats et de leur faire des promesses claires pour les séduire, avance Florence Réal-Rougier, directrice du recrutement France au sein du groupe Talan. Les cartes sont dans les mains des candidats. Le rapport de force a changé ». Avec un taux de cooptation de 28% en 2022, l’entreprise de conseil, qui compte recruter 1 000 personnes cette année, compte sur ses 5 000 collaborateurs et sur la cooptation. Son principe ? Récompenser par une prime financière de plusieurs milliers d’euros –variable selon le niveau de seniorité de la personne cooptée– les collaborateurs qui recommandent des candidats recrutés par l’entreprise. « C’est un canal de recrutement essentiel et de qualité, avec un taux de transformation excellent. Nos employés connaissent bien la culture de l’entreprise donc ils recommandent des candidats qui lui correspondent. L’intégration est ensuite plus simple », assure Florence Réal-Rougier.
Pour elle comme pour Mélanie Tisserand Berger, dirigeante de EMS Audit, un cabinet d’expertise comptable de 14 personnes et présidente du Centre des Jeunes dirigeants (CJD), il faut intégrer les équipes le plus tôt possible dans le processus de recrutement. « Ce sont à elles de choisir avec qui elles veulent travailler et passer du temps. C’est le premier pas à faire. Le deuxième étant de changer le mindset [état d’esprit] des recruteurs ».
Recruter des personnes éloignées de l’emploi
D’abord, ils ont intérêt à élargir leur horizon pour recruter. Pour le groupe Suez, qui compte 30 000 collaborateurs en France et recrute chaque année 2 500 personnes, l’un des axes est le recrutement inclusif. Le groupe travaille avec sa filiale d’insertion Rebond Insertion pour engager des personnes éloignées de l’emploi, via des contrats à durée déterminée d’insertion. Ces CDDI sont conclus pour une durée maximale de 24 mois, temps pendant lequel elles bénéficient d’un accompagnement social individualisé, pour lever les freins à l’emploi, élaborer un projet professionnel et suivre les formations nécessaires, en vue d’un emploi durable. « Nous accompagnons les managers par de la sensibilisation et de la formation pour recruter des profils atypiques sur les métiers en tension, comme les chauffeurs ou les mécaniciens poids lourds », explique Amélie Rambaud, directrice adjointe Innovation sociale au sein du groupe Suez. Résultat, « 10% de personnes éloignées de l’emploi ont intégré le groupe ». L’idée étant de travailler avec l’écosystème de l’emploi –entreprises d’insertion professionnelle, réseaux locaux, Pôle Emploi, associations…– pour sourcer des personnes qui ne sont « pas dans le radar classique de l’emploi », comme les demandeurs d’emploi de longue durée, les allocataires du RSA, les seniors, les travailleurs handicapés, les réfugiés ou les jeunes de moins de 26 ans, sans qualification. Par ailleurs, Suez propose aux jeunes de 16 à 25 ans en situation de précarité le dispositif Tapaj, soit du « travail alternatif payé à la journée » pour des activités que l’entreprise « sous-traiterait traditionnellement », comme de la collecte de cartons ou l’entretien d’espaces verts. Cette innovation soutenue par l’Etat vise à accompagner ces jeunes au niveau médico-psycho-social et à leur proposer une activité professionnelle qui ne les engage pas immédiatement sur la durée. L’objectif ? « Permettre à des jeunes en situation d’errance de se reconstruire et de travailler sur un nouveau parcours de vie », indique Amélie Rambaud.
Recruter sur la base du savoir-être
Autre piste évoquée pour s’ouvrir à de nouveaux profils, recruter sans CV. C’est ainsi que Fiona Fauvel, CEO associée de DealCockpit, entreprise bordelaise qui propose une data room numérique et sécurisée pour les opérations financières clés de la vie d'une entreprise, a recruté pour son poste de business developer une ancienne restauratrice de 27 ans, qui venait de suivre le programme reconversion de Rocket School. « J’avais la volonté de faire le premier entretien sans avoir consulté son CV, explique-t-elle. Le métier de commercial étant essentiellement lié au savoir-être, au fait de savoir parler aux gens et communiquer ». Pour recruter des candidats sur la base de leur savoir-être plus que sur celle de leur savoir-faire, Mélanie Tisserand Berger a demandé, lors du recrutement de l’un de ses derniers apprentis, de montrer comment il savait dribbler, pour voir s’il pourrait s’intégrer dans l’équipe sportive de l’entreprise. « C’est un pas de côté », s’amuse Mélanie
Tisserand Berger qui regrette que trop peu de CV mettent en avant les passions et les soft-skills des candidats.
Ces entreprises font preuve de plus de souplesse sur le fond, mais aussi sur la forme des contrats de travail pour pouvoir recruter. C’est ce qu’a fait Fiona Fauvel lorsque l’un de ses développeurs informatiques l’a informée de son souhait de partir vivre en Thaïlande. « La meilleure formule que nous avons trouvée pour le protéger juridiquement a été le portage salarial avec une entreprise de portage thaïlandaise », indique la CEO.
Et proposer des perspectives
Si le salaire n’était auparavant pas forcément une priorité, dans le contexte actuel d’une inflation galopante, le sujet est redevenu important. « Les candidats cherchent à être rassurés économiquement. Chez Talan nous préférons parler de ‘package’ : nous proposons des choses diversifiées, comme une partie variable ou de l’actionnariat salarié –plus de 30% de nos collaborateurs sont devenus actionnaires », détaille Florence Réal-Rougier. Pour la présidente du CJD, cela fait partie de l’avenir. « C’est proposer aux collaborateurs d’être propriétaires de leur outil de travail. Il faut que ce soit ouvert à tous les collaborateurs, même si tous n’ont pas la même capacité à investir ».
Proposer une expérience collaborateur et permettre aux salariés de s’engager sur des missions d’intérêt général ou d’utilité publique peut également constituer un atout pour recruter. Suez a mis en place cette possibilité pour ses équipes, sur la base du volontariat, à raison de deux jours par an, via la start-up sociale Vendredi qui l’aide à communiquer et à valoriser ces actions auprès des équipes. « C’est important pour les nouvelles générations pour leur permettre de trouver du sens à leur travail », conclut Amélie Rambaud.
Charlotte DE SAINTIGNON