Le renouveau économique des campagnes
Souvent qualifiées de «périphériques» ou d’«isolées», les régions rurales présentent des atouts méconnus, que la crise sanitaire pourrait consolider. Un auteur s’est penché sur le renouveau des campagnes.
La serveuse de ce restaurant doté d’une vue panoramique sur la vallée du Lot, à La Vinzelle, un hameau du département du nord de l’Aveyron, est formelle : «Ce soir, on est complet. Oui, cette année, il y a du monde». Une commerçante spécialisée en produits locaux, à Riom-ès-Montagnes (Cantal), à 130 kilomètres plus au nord, confirme : «Les gens sont revenus, juillet a été excellent». Et cette tenancière de chambres d’hôtes, dans la vallée de la Somme, ne contredit pas : «nous avons des réservations tout le temps, jusqu’en septembre», confiait-elle début juillet.
Le tourisme estival va-t-il sauver les campagnes, après ce premier semestre éprouvant de l’année 2020 ? «Il est trop tôt pour le dire, mais les atouts sont là», répond Vincent Grimault, auteur de «La renaissance des campagnes» (Seuil), un livre publié en juin, mais écrit en 2019, donc «avant». L’auteur veut mettre en lumières les potentialités des campagnes françaises, loin des idées reçues décrivant des «territoires» chers à Jean Castex, qui vient de nommer un secrétaire d’Etat à la ruralité, Joël Giraud. Non, les campagnes ne méritent pas seulement des qualificatifs comme «fragile», «isolé» ou «périphérique», insiste l’auteur, journaliste au mensuel Alternatives économiques. Pour étayer sa plaidoirie, Vincent Grimault a choisi plusieurs lieux de reportages, de l’industrieuse et catholique Vendée aux vastes plateaux du Cantal, en passant par les alentours d’Albi ou la vallée de la Drôme, où s’installent de nouveaux habitants aux aspirations alternatives.
Campagnes industrielles
Les chiffres appuient la démonstration. En dépit de la fermeture de certains services publics comme la poste ou la maternité, qui marquent les esprits, les départements ruraux reçoivent davantage d’argent public que les régions urbaines. Ainsi, les écoles sont moins chargées, les établissements pour personnes âgées moins coûteux, les dotations de l’Etat, calculées par habitant, plus élevées à la campagne que dans les grandes villes. «Dire que tout a été fait pour les métropoles et qu’on a abandonné le rural est tout simplement faux», explique la géographe Magali Talandier, citée par l’auteur.
Les campagnes n’attirent pas seulement des néoruraux et des touristes ; ce sont aussi des territoires industriels. Ainsi, 64% des emplois industriels français sont situés en-dehors des métropoles, contre 50% de l’ensemble des emplois. Les entreprises industrielles trouvent dans les bourgades et les villages des atouts dont elles ne bénéficieraient pas en ville. «Du foncier bon marché, une main d’œuvre jeune, souvent féminine et disponible, peu qualifiée et fidèle car propriétaire de son logement, l’absence de culture ouvrière et des relations privilégiées avec un nombre restreint d’acteurs locaux», énumère l’auteur, citant la géographe Christine Margetic. Confrontées à la concurrence internationale, les campagnes savent opter pour la «montée en gamme». Il s’agit de produits de caractère, des herbes aromatiques de la haute vallée de la Drôme à la lentille blonde de Saint-Flour, redécouverte par des agronomes et vantée pour ses qualités gustatives, en passant le basalte, toujours dans le Cantal, utilisé pour fabriquer des plans de travail ou des lavabos, ou le bois de la Chartreuse, apprécié par les architectes pour les maisons individuelles ou les bâtiments publics.
La campagne dispose d’un autre atout précieux qui lui est propre : l’espace, que l’auteur qualifie d’«or du 21ème siècle». L’espace se décline sous la forme de champs nourriciers, de forêts absorbant le carbone, de rivières réservoirs d’énergie hydraulique, de montagnes regorgeant d’air pur qu’apprécient les citadins au teint pâle… Cette richesse est déjà convoitée, comme l’a montré l’affaire des terres agricoles acquises par des investisseurs chinois dans l’Indre ou dans l’Allier, médiatisée depuis 2018. Mais les débats sont surtout franco-français : faut-il préserver les réserves naturelles ou créer un nouveau centre d’activité à la place d’un champ, quitte à renforcer l’étalement urbain ? Autre exemple, la rivière Drôme est convoitée par plusieurs acteurs aux visées incompatibles. Les agriculteurs voudraient y puiser de l’eau, mais les acteurs du tourisme craignent qu’il en manque pour les kayakistes, l’industrie aimerait en exploiter le gravier et les géants de l’énergie ne manquent pas d’observer qu’un barrage pourrait produire de l’électricité.
Télétravail prometteur
Depuis quelques mois, l’espace est très recherché pour de nouvelles raisons. Les agents immobiliers confirment l’appétence des citadins pour les maisons à la campagne. Vincent Grimault, qui consacre quelques pages, de manière prémonitoire, aux promesses du télétravail, rappelle l’importance, pour les collectivités rurales, de l’équipement en haut débit. Même pour fabriquer des confitures dans les Vosges, il faut générer des codes-barres, et donc disposer d’une bonne connexion. Le haut débit facilite en outre «l’emploi du conjoint», affirme l’auteur. Toutes les régions rurales sont confrontées à la difficulté d’attirer des couples désireux de travailler sur place. Le télétravail, dont beaucoup d’employeurs ont découvert les vertus avec le confinement, permet au conjoint de continuer à travailler pour la même entreprise, en demeurant à distance plusieurs jours par semaine.
Encore faut-il, quand on s’installe dans une région, accepter toutes les règles tacites qui régissent les relations sociales. L’épouse d’un ingénieur embauché récemment dans le Lot, près de Figeac, raconte qu’elle avait décroché un entretien prometteur avec un employeur. «Mais le chef de mon mari, en l’apprenant, m’a dit que ce n’était pas une bonne idée et qu’il me trouverait un autre travail», témoigne-t-elle. L’anonymat restera toujours un atout de la vie urbaine.
Olivier RAZEMON