Le financement des PME, enjeu majeur de la crise
PGE, prêt rebond, french tech bridge… Bercy a multiplié les dispositifs de soutien au financement des petites entreprises. Dans l’urgence, l’enjeu consistait à sauver leur trésorerie, mais aujourd’hui, s’ajoute celui du financement de potentiels investissements.
Le cash : dès le début de la crise sanitaire, l’urgence s’est imposée. Le 8 décembre, l’AJPME, Association des journalistes spécialisés dans les PME, consacrait un webinaire au « Financement des PME-TPE : qu’est-ce que la crise sanitaire a changé ? ». Dans ce domaine, parmi les mesures prises par l’État, « le PGE, prêt garanti par l’État (…) a rencontré un vif succès auprès des PME et des TPE », rappelle Anne Guérin, directrice Financement et réseau chez Bpifrance, la banque publique d’investissement, qui a joué le rôle d’opérateur de l’État sur ces sujets, durant la crise. Au 7 décembre 2020, le PGE a été distribué à hauteur de 112 milliards d’euros, auprès de 658 000 entreprises (hors entreprises de plus de 5 000 salariés). Pour la moitié d’entre elles, il s’agissait d’un montant inférieur à 50 000 euros. Parmi les autres dispositifs principaux, le Prêt Atout, destiné à renforcer la trésorerie des entreprises dans une situation de crise. Il a été distribué à hauteur de 2,5 milliards d’euros. Quant au Prêt Rebond (proposé par les Régions), 10 000 entreprises en ont bénéficié, pour un total de 800 000 millions d’euros. D’autres dispositifs encore s’adressent à des catégories particulières d’entreprises. Les prêts au soutien de l’innovation, aux entreprises innovantes, et le French Tech Bridge, aux start-up qui ont vu leurs levées de fonds gelées. « Dès la première semaine, nous avons mis en place un numéro vert pour les chefs d’entreprises », précise Anne Guérin.
Au cœur de la crise, l’information et l’accompagnement des entrepreneurs a constitué un véritable enjeu, confirme Bernard Cohen-Haddad, président de la CPME Paris Île-de-France. Une équipe de cinq personnes s’est attelée à contacter 3 500 entreprises dans la région. « Nous étions au quotidien dans un afflux d’informations qui évoluaient en permanence », se souvient Bernard Cohen-Haddad. D’autant que les dispositifs étaient affinés au fur et à mesure : au début, ni le taux ni la durée du PGE n’étaient connus… Mais pour lui, la préoccupation de financement des entreprises n’est venue que dans un deuxième temps. « Le premier problème a concerné le social : comment payer le chômage partiel, mettre en place le télétravail, doter les salariés d’outils numériques (…). Le problème du financement est venu fin avril », précise-t-il. En la matière, « pour les TPE, la décision politique a été déterminante, au niveau de l’État et des régions, dont nous avons découvert la forte réactivité », estime-t-il.
A Nantes, Jean-Marie Thuault, dirigeant associé du tour-opérateur spécialisé Spots d’Evasion, (une dizaine de salariés) en a fait le constat. « L’arrêt brutal de l’activité, en mars, nous a fait prendre conscience qu’il fallait absolument sauvegarder la trésorerie », précise le chef d’entreprise. Et lors du premier confinement, l’obtention du premier PGE a été « très rapide. Les banques ont joué le jeu », ajoute-t-il. Parmi les autres mesures prises par le gouvernement, l’une en particulier s’est révélée « salvatrice » pour sa trésorerie. Une ordonnance prise le 25 mars 2020 a autorisé le report de voyages prévus, sans remboursement des avances. Un dispositif indispensable à la survie, alors que les compagnies aériennes, déjà réglées, ne remboursaient pas.
Le défi du financement des indispensables investissements
« Rétablir les fonds propres de l’entreprise en 2021 » : c’est aujourd’hui une préoccupation prioritaire pour Jean-Marie Thuault, qui entend transformer son entreprise pour prendre un nouveau départ. Dans un premier temps, il envisage plusieurs pistes de financement, le recours à ses actionnaires et aussi, possiblement, la transformation du PGE en fonds propres. « Les PGE nous ont bien servi, mais je vais devoir les rembourser. C’est impossible dans l’immédiat, je souhaiterais qu’on puisse les remonter en quasi fonds propres. Cela me semble assez essentiel », pointe l’entrepreneur. La question de la sortie du PGE constitue un enjeu majeur. Aujourd’hui, déjà, un an de différé a été ajouté à celui existant pour le remboursement du PGE. Et Bercy travaille travaille à élaborer une solution sur le sujet, d’après Anne Guérin. Toutefois, le remboursement du PGE ne devrait poser de problèmes que pour une partie des sociétés. « Beaucoup d’entreprises ont pris un PGE par prudence (…). Nous sommes persuadés qu’au moins la moitié des prêts seront remboursés en un an », explique la responsable.
Autre enjeu majeur, « en 2021, les entreprises vont devoir faire face à de nouveaux défis, dont le financement des investissements pour se transformer », pointe Hélène de Prévoisin, directrice Marché entreprises et institutionnels à La Banque Postale. En particulier, pour les petites entreprises, rappelle Bernard Cohen-Haddad, l’enjeu du numérique est central . « Il faut passer au concret, ce qui prendra beaucoup de temps », souligne-t-il. Sur ces sujets, mais aussi sur d’autres, comme la décarbonation, des dispositifs de financement devraient encourager les entreprises à se transformer. Certains sont sectoriels. Par exemple, Bpifrance propose déjà un prêt spécifique pour le secteur touristique, sur dix ans.
Par ailleurs, la distribution de crédits aux PME et aux TPE est revenue au niveau d’avant crise, d’après les statistiques de la Banque de France. Une tendance qui illustre une amélioration des relations entre petites entreprises et banques, traditionnellement compliquées ? Pour Bernard Cohen-Haddad, durant la crise, les deux ont dialogué de manière constructive. Et les trous dans la raquette ont été « très rares », juge-t-il. Pour lui, l’épisode a démontré que « les banques de réseau restent la colonne vertébrale du financement des petites entreprises ». « Les banques se sont mobilisées », confirme Anne Guérin. A la banque Postale, par exemple, « nous avons téléphoné à tous nos clients, qui nous ont rapidement parlé de besoins de liquidités », témoigne Hélène de Prévoisin. L’établissement a consenti à des moratoires de crédits, proposé des contrats d’affacturage simplifiés et peu coûteux, ainsi que la gratuité des paiements sécurisés à distance pour favoriser le clic and collect. Reste, sous-jacent, un problème structurel bien enraciné : celui de la sous-capitalisation des petites entreprises en France. « Aujourd’hui, on peut créer une société avec quasiment aucun capital », souligne Jean-Marie Thuault. Un encouragement à l’entrepreneuriat qui montre ses limites, en créant des entreprises fragiles en temps de crise.
Anne DAUBREE