« Le fait d’être un bon professionnel ne justifie pas des situations de maltraitance des collaborateurs »
Les personnalités toxiques peuvent créer beaucoup de souffrance au travail. Emilie Meridjen, associée en droit du travail chez Sekri Valentin Zerrouk se confie sur le sujet et propose quelques pistes pour éviter ce genre de comportement.
A quoi reconnaît-on une personnalité toxique ?
Les personnalités toxiques peuvent l’être soit de manière affirmée –elles ne masquent pas une forme de violence ou d’agressivité dans leur façon de s’exprimer, peuvent avoir des propos insultants ou indécents– ; soit elles avancent en mode masqué. Ce dernier côté, plus manipulateur étant le plus difficile à déceler car le collaborateur peut passer pour le salarié idéal et bien cacher son jeu, adoptant, en général en one to one, un comportement déstabilisant vis-à-vis de son équipe. En général, il a un sens politique aiguisé, un amour pour le pouvoir, un sens aigu de la concurrence et fait preuve d’une grande impulsivité. Ses caractéristiques principales étant l’absence d’autocritique et donc, une très grande difficulté, voire impossibilité, à se remettre en question. Ce sont des personnalités à multiples facettes.
Comment se manifeste-t-elle ?
La plupart du temps, ce sont donc des situations difficiles à déceler. Cela peut prendre la forme d’un vocabulaire décalé par rapport à la courtoisie élémentaire, d’insultes ou d’une façon de s’adresser aux collaborateurs de manière à les dévaloriser en public. Le manager peut par exemple créer une sorte de connivence avec le collaborateur, être dans un lien de proximité et de familiarité, pour l’amener à se livrer sur des choses intimes et les utiliser de manière déloyale pour que cela se retourne contre lui. Il y a souvent un mélange des genres entre vie privée et professionnelle. On entend beaucoup parler de souffrance au travail, mais je me suis rendue compte à quel point il pouvait être difficile, même pour les parties prenantes, de mettre des mots sur les situations qu’elles vivent.
Observez-vous une recrudescence de ce genre de comportements ?
C’est difficile de savoir si le phénomène s’est amplifié ou si c’est plutôt l’évolution de la société. J’ai le sentiment que ce genre de comportement a toujours existé. Ce qui change, c’est finalement la capacité à le dire, avec une tolérance moindre et une plus grande exigence des salariés vis-à-vis de leur emploi.
Les femmes sont-elles plus souvent victimes de ces personnalités toxiques ?
De par mon expérience, mais celle-ci n’a aucune valeur statistique, il y a un biais de personnalité chez les femmes qui fait qu’elles ont, sans doute plus souvent que les hommes, un déficit de confiance en elles qui peut être propice à ce qu’elles deviennent une cible privilégiée. Etant également plus perfectionnistes, les personnalités toxiques peuvent se servir de cette quête de perfection et de tout ce qui en découle, comme la culpabilité, pour se retourner contre leur victime. De par leur constitution générale, les femmes seraient selon moi plus enclines à devenir des victimes.
Comment les entreprises réagissent-elles face à ces comportements ?
Alors que la direction apprécie leur apport en termes de chiffre d’affaires ou de technique, leur personnalité peut amener à des situations de souffrance. De peur de perdre ces précieux collaborateurs, les employeurs restent passifs et n’en prennent pas suffisamment la mesure. Le fait d’être un bon professionnel ne justifie pas pour autant des situations de maltraitance des collaborateurs. De par mon expérience, j’ai déjà entendu des entreprises dirent « On ne peut pas se permettre de se séparer de cette personne ». Dans certaines affaires médiatisées, on peut également entendre des témoignages concordants signalant que « Tout le monde savait mais que personne ne disait rien. C’était la culture de l’entreprise ». Heureusement, certains employeurs ne tolèrent pas ce genre de comportement toxique ou abusif et ont le courage et l’éthique nécessaires pour le dénoncer.
Quelles actions doivent-elles mettre en place ?
L’employeur a l’obligation de protéger ses collaborateurs de tels agissements. Même si la « personnalité toxique » n’est pas un concept juridique, ce comportement peut s’apparenter à du harcèlement. Néanmoins, il peut être plus compliqué à déceler lorsque le manager avance à bas bruit, que lorsqu’il est agressif ou impulsif. Si le collaborateur est en souffrance au travail et manque de la protection avérée de l’entreprise, cela relève de la responsabilité civile et pénale de l’employeur. Celui-ci ne doit pas se montrer complaisant et doit adopter les mesures nécessaires pour le prévenir ou faire cesser le harcèlement, en prenant les sanctions nécessaires, celles-ci pouvant aller jusqu’au licenciement, après une enquête poussée sur la situation. La responsabilité juridique de l’entreprise étant engagée, elle risque, sinon, d’être poursuivie et sanctionnée.
Quels conseils donneriez-vous aux dirigeants ?
Les entreprises doivent faire de la sensibilisation, pour libérer la parole sur le sujet, lors de journées dédiées, pour que les collaborateurs soient informés. Lorsque l’on n’en parle pas, cela génère une retenue de la part des collaborateurs qui s’estiment victimes. Surtout si elles manquent de confiance en elles, elles vont encore moins s’autoriser à partager leur ressenti. Les entreprises doivent également mettre en place un dispositif d’alerte. La nomination d’un référent harcèlement, désormais obligatoire dans les CSE [Comité social et économique], peut être l’occasion d’en parler. Elles doivent, enfin, former leurs managers au management. Il n’y a pas d’étude sur le sujet, mais le plus souvent les managers ne sont pas des managers, mais de bons techniciens qui se sont élevés dans l’organisation. Pourtant, un manager ne doit pas seulement être un bon technicien, il doit avoir les compétences managériales nécessaires. Les accompagner dans leur prise de poste constitue un axe d’amélioration énorme. La plus grande proportion de ces personnalités toxiques n’ont pas été formées sur ‘comment aider les collaborateurs à grandir’, sur l’écoute active ou encore la communication non violente, et elles ne disposent de fait ni des codes ni des bons outils. La plupart du temps, cela peut être amélioré par de la formation et de la sensibilisation.
Charlotte DE SAINTIGNON