La crise du logement, enfin une priorité ?
Les professionnels de l'immobilier et du logement interpellent Michel Barnier, nommé Premier ministre. Car la crise est profonde montrent les résultats trimestriels de la promotion immobilière, dévoilés la veille par la FPI.
Michel Barnier, nommé Premier Ministre le 5 septembre, va-t-il faire du logement une priorité ? Le jour même, plusieurs acteurs du secteur ont fait connaître leurs attentes. Dans un communiqué, la Fnaim, Fédération nationale de l’immobilier a appelé à une « mobilisation générale pour le logement ». « Nous espérons que le nouveau gouvernement saura prendre le problème à bras le corps », déclarait pour sa part Pascal Boulanger, président de la FPI, Fédération des promoteurs immobiliers, le 4 septembre, lors d'une conférence de presse consacrée à l'activité du secteur au second trimestre 2024.
Parmi les préconisations de la FPI figurent la création d'un statut du bailleur privé et la prolongation du dispositif d'investissement locatif Pinel qui devrait s'éteindre à la fin de l'année (avec un retour à sa formule initiale). La Capeb, Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, a insisté pour maintenir l'enveloppe budgétaire de l'aide à la rénovation énergétique MaPrimeRenov et l'Union sociale pour l'habitat, qui fédère les organismes HLM, a réclamé un « changement de politique » pour relancer la construction des logements sociaux, selon le quotidien économique Les Échos du 6 septembre.
Alors qu'il était candidat à l'investiture LR pour la présidentielle de 2022, Michel Barnier avait promis un plan pour « remettre en chantier un nombre important de logements». Pour le secteur, c'est l'espoir d'un changement de cap, après sept années d'une politique du logement des gouvernements Macron successifs qui misait sur un « choc de l'offre » et qui a fait l'unanimité contre elle, de la FPI à la Fondation Abbé Pierre. « Mea culpa. (…) nous n'avons pas fait suffisamment », reconnaissait Bruno le Maire, ministre de l'Economie et représentant d'Ensemble pour la République, lors des auditions des candidats aux élections législatives par les syndicats patronaux, le 20 juin, à Paris.
« une crise qui va s'auto-alimenter »
Les chiffres dévoilés par la FPI le 5 septembre, illustrent l'ampleur de la crise. En toile de fond, rappelle la Fédération, une confiance des ménages en berne qui se concrétise par une baisse de leurs investissements (-1,1%) au deuxième trimestre 2024. Selon l'Insee, cette baisse devrait atteindre 5% sur l'année entière. Concernant l'activité des promoteurs immobiliers, la quasi-totalité des indicateurs affichent une tendance fortement négative. A commencer par les autorisations de logements collectifs. Elles ont baissé de 15,1% entre le deuxième trimestre 2024 et 2023. Et le niveau est bas : 41 200. Entre 2015 et 2018, le volume trimestriel moyen était de 59 600 rappelle la FPI. La courbe mensuelle de ces autorisations montre que la mandature qui a débuté en 2020 a donné lieu à un décrochage par rapport à la précédente (16 936 autorisations par mois après 2020, contre 19 335). A cet égard,Didier Bellier-Ganière, délégué général de la FPI, évoque « le malthusianisme des maires, conséquence du malthusianisme de nos concitoyens ». En contrepoint de cette tendance négative, les mises en chantier ont augmenté de 5% sur le deuxième trimestre 2024. « Il est très probable que cette évolution découle des 47 000 acquisitions de CDC Habitat et Action Logement depuis un an. Cela compte, mais ce n'est pas vraiment le signe d'une reprise du marché », analyse Pascal Boulanger.
De fait, la tendance des mises en vente est à la baisse. « C’est dramatique. De trimestre en trimestre, la baisse s'accentue », commente Didier Bellier-Ganière. Ce deuxième trimestre, 13 953 logements neufs ont été mis en vente. C'est 42,4% de moins que l'an dernier sur la même période. Et cela fait de cette période le second trimestre le plus bas depuis 2010. Sur le semestre, l'évolution n'est pas meilleure : depuis le début de l'année 2024, on en compte 27 962 contre 44 238 au premier semestre 2023 (- 36,8%). Didier Bellier-Ganière évoque un « quasi-tarissement de l'offre ». « Nous sommes dans une crise qui va s'auto-alimenter. Quand la demande repartira, quid de l'offre ? », met en garde Pascal Boulanger.
L'investissement locatif en chute libre
Les autres indicateurs du marché sont tout aussi inquiétants. Le nombre de retraits d'opérations immobilières (commercialisation arrêtée ou suspendue) qui avait fortement augmenté depuis la fin de 2023 s'est maintenu à un niveau élevé en 2024. Et les réservations de logements neufs au second trimestre 2024 ont chuté de 8,3% par rapport à la même période de 2023. Là aussi, le niveau est bas : 23 150, alors qu'entre 2018 et 2024, le niveau moyen était de 34 179 ventes.
Par ailleurs, cette baisse masque deux tendances contradictoires. Soutenues par les programmes d'achats de CDC Habitat et Action Logement, les ventes en bloc ont augmenté de 24,6%. Elles sont passées de 6 210 à 7 739. En revanche, les ventes aux particuliers ont reculé de 22,5% ( de 17 424 au deuxième trimestre 2023 à 13 511 au T2 2024). Au sein de ces ventes aux particuliers, celles en accession à la propriété ont fortement baissé. Elles ont diminué de 18,1% (de 11 029 à 9 034). Mais le segment des ventes à investisseurs subit une véritable dégringolade : -30% (de 6 3 95 à 4 477). Selon la FPI, l'essentiel de ses ventes s'appuie sur le dispositif fiscal Pinel. Cette chute brutale du marché est lourde d'implications pour les promoteurs immobiliers. Ainsi, le délai moyen d'écoulement des biens a atteint 23 mois. « Un promoteur moyen est heureux lorsqu'il est à 12 mois », rappelle Pascal Boulanger. Or, aucune métropole n'affiche de tels délais. Lille (Scot) atteint 32,1 mois ; Lyon (AU) 31,5 mois : Bordeaux 30,9 ; Nantes 30,2 ; Caen 23,3…
Autre évolution soulignée par la FPI, l'évolution des prix (faciaux) qui n'ont que peu évolué. Entre le deuxième trimestre 2023 et 2024, ils ont diminué de 1,1% pour atteindre 4 978 euros/ m2 (logement collectif au détail). Pascal Boulanger évoque la double impossibilité de faire baisser ces prix qui sont « techniques », de la part de promoteurs dont les marges tournent autour de 5%. Résultat : dans le secteur, « cela tousse beaucoup. Nous arrivons au bout d'un système (…) Il y a des plans de licenciement, on commence à voir des promoteurs qui ferment », prévient Pascal Boulanger.