Transition écologique
L'économie du réemploi à l'épreuve de son financement
Pour mettre sur pied une économie vertueuse, il faut convaincre le consommateur. Mais bâtir une offre qui conjugue rentabilité et impact positif sur l'environnement n'a rien de simple non plus, prévient un investisseur lors de la récente journée « Tous pour le réemploi ».
Tout le monde se souvient des « dévendeurs ». Une fois n'est pas de coutume, une campagne de communication grand public de l'Ademe, l'Agence de la Transition écologique, avait fait un buzz national. En novembre dernier, ses spots mettant en scène les « dévendeurs » qui suggéraient aux consommateurs des solutions alternatives à l'achat de produits neufs avaient suscité de vives réactions dans le monde économique, à commencer par celle de la CPME, inquiète pour ses entreprises.
Christophe Marquet, animateur national Réemploi et Réparation à l'Ademe, revenait sur la fameuse campagne, le 30 janvier, à Paris, lors d'une journée consacrée à « Tous pour le réemploi ». L'événement était organisé par StockPro, qui propose une solution de réemploi des matériaux neufs du BTP. Selon Christophe Marquet « l'idée de la campagne était de titiller le consommateur et ses modèles de consommation, de l'informer sur des alternatives possibles ». L'un des spots, par exemple, montrait la possibilité d'acheter un smartphone reconditionné plutôt qu'un neuf. Pour Célia Rennesson, directrice du réseau Vrac & Réemploi, le message vise juste. « Nos modèles ne sont pas assez montrés. Le consommateur ira vers cette offre s'il sait qu'elle existe », estime-t-elle. Qui, par exemple, connaît le service proposé par Seecly ? Cette entreprise, fondée par une jeune entrepreneuse, Pauline Marmoyet « redonne vie aux lunettes qui dorment ». En clair, elle propose l'achat de montures de lunettes de seconde main, contrôlées. Le dispositif est agréé par la Sécurité Sociale. Bref, il reste des efforts importants à fournir pour informer et sensibiliser les consommateurs sur les possibilités de réemploi.
Des étoiles dans les yeux et des subventions
Mais beaucoup reste aussi à faire pour parvenir à l'élaboration d'une offre satisfaisante. C'est ce qu'ont montré les interventions de plusieurs acteurs du secteur. Parmi eux, Geoffroy Bragadir, cofondateur de Ring Capital, spécialiste de l'investissement à impact créé en 2016. Il accompagne des start-up au modèle économique viable et qui ont un impact positif sur l'environnement ou le social. Comme Epoca, qui propose des solutions de télésurveillance médicale permettant de réduire les allers-retours des personnes âgées à l'hôpital. Pour Geoffroy Bragadir, le sujet du financement des entreprises du réemploi met en lumière plusieurs difficultés. Tout d'abord, « le financement du secteur du réemploi ne connaît pas la croissance que l'on pourrait en attendre », constate-t-il. Quelques levées de fonds spectaculaires, à l'image de BackMarket- qui propose des produits électroniques reconditionnés- avec ses 450 millions d'euros en janvier 2022, ne doivent pas faire illusion. Les chiffres agrégés n'existent pas et c'est déjà un signe de leur faiblesse. De plus, ce bas niveau quantitatif du financement est aussi significatif de la nature des projets des entreprises qui tentent de se lancer dans l'aventure. « Je vois arriver des entrepreneurs avec des étoiles dans les yeux car ils veulent sauver le monde, mais l'équation économique ne fonctionne pas », témoigne Geoffroy Bragadir. Autre difficulté, « nous voyons beaucoup d'entreprises qui n'ont pas vraiment trouvé de business modèle rentable sur le long terme et qui sont extrêmement subventionnées », décrit-il. Or, pour les investisseurs, il y a là un véritable chiffon rouge. « Ils se souviennent tous de l'épisode du photovoltaïque, lorsque les entreprises se sont cassées la figure une fois les subventions disparues », relate-t-il.
Le modèle économique sans la vertu...
Pour Geoffroy Bragadir, ce constat concerne les entreprises de réemploi, mais aussi celles qui s'engagent dans des projets d'économie circulaire, qui visent à éviter la production de déchets, le gaspillage...Or, se convertir à une économie basée sur ces principes présenterait de nombreux avantages, argumente-il. « Passer de l'économie linéaire à celle circulaire serait très bénéfique pour le PIB. Il y a des externalités positives : création d'emplois, voire de nouveaux métiers, innovation, développement des investissements ...», énumère l'investisseur. Lequel rappelle les projections réalisées dans le cadre d'une étude de la Fondation Ellen MacArthur et le Cabinet McKinsey (2015) : un système économique circulaire pourrait favoriser une croissance du PIB européen de 11% d’ici 2030, contre 4% dans le cadre du modèle linéaire actuel. En outre, si la majorité des acteurs économiques se saisissait pleinement de ces principes, cela permettrait d’envisager une réduction des émissions de CO2 de 48% en Europe d’ici 2030, et jusqu’à – 83% d’ici 2050.
Mais pour que ce cercle vertueux se mette réellement en place, il existe une condition de taille : les externalités des projets des entreprises impliquées doivent avoir été examinées avec la plus grande rigueur. C'est le cas, par exemple, de l'application Too Good To Go, qui fait le lien entre des commerçants dont les produits s'approchent de la date de péremption et les consommateurs qui peuvent les acheter à prix cassés. « Ils ont réussi à inventer un modèle économique rentable qui permet d'éviter le gaspillage alimentaire. Et je ne vois pas d'externalité négative », explique Geoffroy Bragadir.
A contrario, d'autres modèles peuvent être économiquement viables, mais se révéler extrêmement contestables du point de vue de leur impact sociétal ou environnemental. Comme les entreprises de reconditionnement de smartphones qui s'approvisionnent aux États-Unis. Elles fournissent ainsi un débouché à un modèle qui voit les consommateurs changer de portable une fois par an. « Est-ce bien écologique ? », interroge Geoffroy Bragadir. Autre exemple, celui de Vinted, plateforme de revente de vêtements entre particuliers. Parmi les marques les plus vendues figurent Zara et H&M. Le dispositif constitue un encouragement à la surconsommation et à la fast fashion... Et engendre un effet pervers : la proportion de vêtements dans un état correct qui est donnée à Emmaüs est tombée de 60 à 40%...