Guerre des droits de propriété industrielle sur les marketplaces
Certains opérateurs indélicats n’hésitent pas à s’approprier une marque non protégée pour capter la visibilité de leur concurrent sur Internet. Une pratique qui s’opère en fraude des droits d’un tiers.
La tentation peut exister, pour certains, de s’approprier la marque non protégée d’un concurrent en vue d’obtenir la visibilité créée par ce dernier de façon à tirer profit de ses investissements financiers et intellectuels pour parvenir, sans bourse délier, à vendre des produits similaires, voire identiques.
Une société commercialisant des cartes, étiquettes et autres produits d’emballage sur Amazon, y a succombé, non sans conséquences financières. Ayant relevé que son principal concurrent, doté d’une grande visibilité sur Internet, n’avait pas déposé sa marque, elle s’est crue autorisée à procéder elle-même à l’enregistrement de cette marque, afin de pouvoir être référencée sur la plateforme américaine de e-commerce, sur les annoncées créées et publiées par son concurrent sous cette marque, en tant que «autres vendeurs», voire même en tant que vendeur principal des produits de la marque concernée.
Mal lui en a pris puisque le tribunal judiciaire de Lille, dans une décision rendue le 28 février 2020, l’a condamnée pour concurrence déloyale et parasitaire, à verser à sa victime la somme de 9 000 euros et à opérer le transfert de la marque frauduleusement déposée à son concurrent.
Détournement de la fonction de la marque
En effet, l’article L 712-6 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que si un enregistrement a été demandé, soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. Un dépôt doit être considéré comme frauduleux lorsque le droit de marque n’est pas constitué et utilisé pour distinguer des produits ou des services en identifiant leur origine, mais est détourné de sa fonction dans la seule intention de nuire aux intérêts d’un tiers, en le privant intentionnellement d’un signe qu’il utilise ou s’apprête à utiliser.
Le tribunal a retenu, dans l’affaire concernée, que la société indélicate avait «délibérément déposé la marque Jeco, non pas pour distinguer ses produits en identifiant leur origine, mais dans le but de confisquer à son profit un signe nécessaire à la poursuite de l’activité de la société Jeco Distribution, caractérisant ainsi un détournement de la fonction de la marque, dans une intention nuisible à cette dernière».
Moralité : le seul fait qu’une marque soit disponible à l’enregistrement n’autorise pas à procéder à son dépôt, dès lors qu’un tel dépôt s’opère en fraude des droits d’un tiers.
La guerre fait rage sur les marketplaces, où d’autres pratiques du même type ont récemment pu être constatées en matière de dessins et modèles. Certaines opérateurs indélicats n’hésitent pas à procéder à l’enregistrement de modèles appartenant à des tiers, mais non déposés par ceux-ci, afin de pouvoir, ensuite, dénoncer à la place de marché l’existence de produits présentés comme contrefaisants et solliciter leur déréférencement par la plateforme. Ce, tout en sachant que leur dépôt ne serait, s’il était contesté, probablement pas reconnu comme valable par un juge. Les opérateurs à l’origine de telles pratiques gagnent, ainsi, quelques précieux mois ou points de parts de marché dans la guerre qui les oppose à leurs concurrents.
Viviane GELLES, avocat associé