Elisabeth Borne, une technicienne au Travail
Ministre depuis le début du quinquennat, cette diplômée de l’Ecole polytechnique devra affronter la vague de défaillances et de plans sociaux qui s’accumulent déjà. Sa capacité à plonger dans la complexité en conservant le sens du détail seront des atouts, qu’elle a tenté de faire valoir à ses postes précédents.
Technicienne davantage que politique, mais ministre sans discontinuer depuis plus de trois ans, et à des postes essentiels au fonctionnement du pays : Élisabeth Borne fait désormais partie des piliers du quinquennat. Même si 30% des personnes interrogées, selon le dernier sondage Ifop effectué après le remaniement du 6 juillet, ignorent encore qui elle est. Il est vrai que la nouvelle ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion n’appartient pas à cette catégorie de personnalités politiques qui viennent donner leur avis sur tous les sujets face aux caméras. Si on l’a aperçue, en mai 2019, à la permanence de La République en marche passer des coups de téléphone pour convaincre ses interlocuteurs de voter pour la liste du parti aux élections européennes, cette travailleuse acharnée se contente la plupart du temps de parler de ses dossiers. Elle les connaît sur le bout des doigts, jusque dans les contorsions nécessaires pour se conformer à la ligne officielle du gouvernement. Cela ne l’empêche pas de converser régulièrement par SMS avec des représentants de la société civile, comme pour écouter d’autres voix que celles de son cabinet.
Présidente de la RATP depuis mai 2015, Elisabeth Borne se trouve, en mai 2017, à Montréal, pour un congrès international, lorsqu’elle apprend sa nomination au ministère des Transports, dans le premier gouvernement d’Edouard Philippe. Jusque là classée à gauche, elle a occupé une série de postes qui font d’elle la femme de la situation. Successivement directrice de l’urbanisme à la mairie de Paris, de la stratégie à la SNCF, préfète de Poitou-Charentes, directrice du cabinet de Ségolène Royal, alors ministre de l’Ecologie, et enfin présidente de la RATP, cette polytechnicienne, née en 1961, a touché au public et au privé, connaît les ministères et le monde de l’entreprise, les collectivités locales et l’ensemble des dossiers liés aux transports. On salue son professionnalisme, même si ses collaborateurs redoutent ses colères ciblées qui en ont fait pleurer plus d’un.
Succession de dossiers complexes
Dès juillet 2017, la nouvelle ministre est chargée de mettre en musique un engagement du président Macron, bien avant l’émergence des «Gilets jaunes » : la priorité aux «transports du quotidien». Ce leitmotiv était répété depuis des années par le président de la SNCF, sans toutefois convaincre, tant les projets de lignes à grande vitesse, promises aux élus locaux, s’accumulaient dans les tiroirs des ministères. Dans son discours d’inauguration des lignes TGV Paris-Rennes et Paris-Bordeaux, rédigé par le cabinet de sa ministre, Emmanuel Macron va doucher les enthousiasmes. La priorité, désormais, ce sont les liaisons de banlieue à centre, de petite ville à ville moyenne, la desserte des hôpitaux, des zones industrielles et des fonds de vallée.
A l’automne, Elisabeth Borne convoque des «Assises de la mobilité», des débats qui durent trois mois au cours desquels le monde des transports publics la reconnaît comme l’une des leurs. Il en résultera la Loi d’orientation des mobilités (LOM), un texte forcément fourre-tout promulgué en décembre 2019, une «boîte à outils» destinée aux collectivités locales, comme le répétera la ministre dans son langage technique tout au long du «service après vote». Mais avant cela, il aura fallu porter la réforme de la SNCF, et notamment la fin du statut de cheminot, face à des syndicats très organisés qui conçoivent une grève saucissonnée, deux jours sur cinq, pendant trois mois. Sans s’en sortir avec les honneurs, la ministre parvient à faire voter la réforme, et la grève s’arrête.
Qu’aura-t-on retenu de tout cela ? «Le vélo. C’est bien. C’est peu», résume Gilles Dansart, fondateur de Mobilettre, magazine professionnel s’adressant aux acteurs des transports. C’est au cours des Assises de la mobilité que la ministre découvre l’appétence du pays pour ce moyen de déplacement pratique, non polluant, peu cher. «Il faut cesser de regarder le vélo avec condescendance, en considérant que c’est un sujet mineur», lance la ministre lors de la conclusion des Assises, en décembre 2017. Le «plan vélo» présenté par le Premier ministre en septembre 2018 contient surtout des dispositions techniques, certaines mesures ne s’appliqueront qu’après la fin du quinquennat et les budgets demeurent limités, mais qu’importe. Elisabeth Borne a ouvert une vanne, et les militants, élus et agents des collectivités ne cesseront de se réclamer de la parole de «la ministre» pour tracer, localement, des pistes cyclables et des carrefours sécurisés.
Elisabeth Borne devient donc «ministre du vélo», un titre (officieux) qu’elle conserve en juillet 2019, lorsqu’elle prend du galon, en charge de la Transition écologique et solidaire, après la démission de François de Rugy, et même en septembre, lorsqu’on lui adjoint un ministre délégué aux transports, Jean-Baptiste Djebbari. Fin mai, après le déconfinement, c’est encore Elisabeth Borne qui, dans la salle trop grande de l’hôtel de Roquelaure, convoque une conférence de presse limitée à deux journalistes pour expliquer qu’il faut maintenir les pistes cyclables temporaires créées dans les villes pour absorber une partie des voyageurs qui n’osent plus prendre les transports publics. Son cabinet ne manque pas de rappeler que cette «transition cyclable» se solde par la création de centaines d’emplois de mécaniciens. Certes, cela ne suffira pas à résorber le chômage. Mais voici un résultat tangible sur lequel la nouvelle ministre du Travail saura sans doute s’appuyer.
Olivier RAZEMON