Climat : les vérités qui dérangent de « Janco »
Quelques jours avant le premier tour des élections législatives, Jean-Marc Jancovici, qui s’est spécialisé dans la vulgarisation des enjeux climatiques, professait devant un parterre de professionnels des transports, à l’European mobility expo. Quitte à bousculer son auditoire.
« Il n’y a pas de honte à ne pas savoir. Mais prendre des décisions sans connaître le sujet, c’est contre-productif ». L’ingénieur et enseignant Jean-Marc Jancovici, spécialiste de l’énergie et du climat, ne déteste rien de plus que l’incompétence. Alors, il distribue les mauvais points. Le jeudi 8 juin, au salon European mobility expo, consacré aux des transports publics, à Paris, le célèbre conférencier tacle les ministres, ceux d’avant et d’aujourd’hui. « Un ministre du gouvernement précédent croyait que la baisse des émissions de CO2 dans un pays avait un impact sur le climat local. Il n’avait pas compris que l’enjeu était planétaire. D’autres confondent ‘2 degrés’ et ‘2 pourcents’, ou disent ‘effet à gaz de serre’ au lieu de ‘gaz à effet de serre’ », dénonce-t-il face à plusieurs centaines de transporteurs, élus, consultants ou journalistes.
Pour combler ces lacunes, Jean-Marc Jancovici propose aux membres du gouvernement de « consacrer 20 heures à se former » sur les enjeux liés au réchauffement climatique. Le GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, a fixé un objectif de zéro émissions nettes en 2050 et « d’ici là, nous avons en France cinq mandats présidentiels pleins, à supposer qu’on soit toujours en démocratie en 2050. Car les évolutions se produisent par craquements, qui peuvent aussi emporter la démocratie », attaque le spécialiste, sans jamais se départir de son sourire.
Les « petits gestes » ne suffiront pas
Jean-Marc Jancovici n’hésite pas à bousculer son auditoire. Compte tenu de l’efficacité du système routier, rappelle-t-il, la voiture individuelle demeure « le moyen le plus souple de se déplacer, dès lors qu’il n’existe pas de contrainte », comme l’absence de parking à destination, par exemple. En outre, les activités, les emplois et l’habitat se développent davantage dans les grandes couronnes des villes, « là où aucun mode ferré lourd ne pourra jamais être créé », en raison du coût que cela représenterait. Sans pitié pour les transporteurs qui l’écoutent, il rappelle que la voiture couvre en France 80% des 10 000 kilomètres parcourus par an par chaque habitant.
Le show de « Janco », comme l’appellent ses étudiants, se poursuit, implacable. En 2050, « les émissions résiduelles de CO2 devront se situer entre 10 et 20% des émissions actuelles », soit une division par quatre, au moins. « Il nous reste 28 ans, c’est le temps qui nous sépare de nos enfants ». La baisse doit atteindre environ 5% par an pour l’ensemble de la planète, soit « ce que nous avons connu en 2020, la première année de la pandémie ». Dès lors, il ne suffit pas de « compter sur la bonne volonté des gens », ces fameux « petits gestes », récemment loués par Amélie de Montchalin, ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires.
L’écologie serait donc nécessairement « punitive », selon une expression popularisée par l’ancienne ministre Ségolène Royal ? Non, répond le scientifique. « Quand on incite les enfants à aller à l’école, c’est rarement au nom du bénéfice de long terme qu’ils vont en retirer. En revanche, on leur parle des copains, de la cantine, de la récré ». Il préconise, suivant cette logique, de « privilégier le marketing aux raisons de fond ». Ainsi, « quand on se déplace à vélo, on reste en forme, ça coûte moins cher, on évite le stress du stationnement », dit celui qui arbore, ce jour-là, une chemise à motifs représentant des petits vélos.
Les enjeux sont consignés dans un « Plan de transformation de l’économie française », publié en février par l’association The Shift project, créée par Jean-Marc Jancovici en 2010. Cet ouvrage, qui s’est vendu à 70 000 exemplaires, prône un bouleversement des manières de se déplacer, à partir de solutions qui existent déjà. Le conférencier cite « l’autocar, qui peut relier plusieurs points dans la même agglomération, avec une vitesse commerciale comparable à celle de la voiture ». Une organisation optimale des transports suppose « une gouvernance » qui ne s’appuie pas sur « le découpage actuel des collectivités locales, mais sur les besoins de mobilité ».
Une mobilité plus vertueuse implique de lever les idées reçues. Ainsi, « j’ai souvent entendu des gens parler en mal des transports publics alors qu’ils ne les prennent jamais », lâche Jean-Marc Jancovici. Jamais avare de punchlines, il ajoute : « On supporte beaucoup plus facilement les inconvénients qu’on s’inflige soi-même que ceux qui ont été créés par les autres. Dit autrement, un automobiliste supporte mieux les heures perdues dans les bouchons qu’un passager du métro bloqué à cause des grèves ».
Innovations sociétales plutôt que techniques
Directrice de la société de conseil Etat d’Esprit Stratis, Hélène Herzog-Stasi interroge le spécialiste sur l’« innovation », un terme qu’affectionnent les transporteurs : « Pourquoi ne prononcez-vous jamais ce mot ? ». Blagueur, l’enseignant répond « je peux le prononcer : innovation ». Toutefois, souligne-t-il, « cela fait des milliers d’années que les humains avancent des innovations techniques, et cela n’a absolument pas empêché les problèmes environnementaux ». La vraie innovation, précise-t-il, consisterait, « pour les entreprises, à inverser la hiérarchie des valeurs et les rémunérations des collaborateurs, en faveur du climat ».
Jean-Marc Jancovici a un dernier message, à l’intention des cadres dirigeants, cette fois : « Dans toute entreprise, le grand chef ou la grande cheffe passe un temps raisonnable à s’intéresser aux clients, aux risques juridiques, aux ressources humaines, à l’organisation. S’il ou elle ne passe un temps comparable à s’intéresser au climat, cela ne changera pas ».