« Ce qui satisfait le plus les maires, c’est le fait de voir aboutir un projet »

L’Observatoire Amarok, qui a été créé pour suivre la santé des chefs d’entreprise, poursuit aujourd’hui son travail en se penchant sur le sort des élus locaux de France. Les deux auteurs de l’étude, Mathieu Le Moal et Olivier Torrès, de l’Université de Montpellier (MOMA-MRM – LABEX Entreprendre), veulent révéler l’état de santé des maires. Olivier Torrès, fondateur de l'Observatoire Amarok, livre les principaux résultats.

Olivier Torrès, fondateur de l'Observatoire Amarok, a auditionné les maires sur leur santé mentale.
Olivier Torrès, fondateur de l'Observatoire Amarok, a auditionné les maires sur leur santé mentale.

Pourquoi avoir choisi de réaliser une étude sur les maires ?

Jusqu’alors, la santé des maires était une zone aveugle qui n’avait jamais été traitée. Cette étude, réalisée en partenariat avec l’AMRF (Association des maires ruraux de France) est une première mondiale, puisque personne ne s’était jamais intéressé à la santé des élus de manière aussi méthodique et massive. Seuls les Anglais Weinberg et Cooper s’étaient penchés en 1999 et en 2003 sur le stress des députés britanniques de la Chambre des communes. Cette lacune est d’autant plus regrettable que les maires sont parfois malmenés dans leur fonction et qu’ils constituent un des socles de nos démocraties. Je suis convaincu qu’une République mature est une République qui protège ses serviteurs.

Quels sont les principaux enseignements de l’étude ?

L’étude met en exergue deux enseignements contradictoires. D’un côté, une bonne nouvelle : 69,3% des maires affichent une satisfaction en tant qu’élu, ce qui contraste avec la perception générale de maires qui se font insulter ou agresser. Mais d’un autre côté, près d’un tiers (31,40%) font face à un début d’épuisement. Ce qui n’est pas alarmant en soi. En revanche, le fait que 3,48% se déclarent en risque sévère d’épuisement nous interpelle car cela signifie qu’ils ont franchi une cote d’alerte. Dans cette étude, nous nous sommes autant intéressés à la pathogenèse qu’à la salutogenèse, grâce à deux outils, le « stressomètre » et le « satisfactomètre », conçus pour prédire le bien-être et prévenir le burnout de nos élus. Plus un maire coche d’événements négatifs, plus sa quantité de stress va être forte et plus elle sera corrélée à un risque de burnout. A l’inverse, plus le maire est confronté à des événements positifs, moindre sera son risque.

De quels maux souffrent-ils exactement ?

Dans l’échelle du stressomètre qui calcule l’intensité moyenne de stress ressenti, la première source de stress est la complexité et la lourdeur des démarches administratives. Viennent ensuite la charge de travail et le manque de temps, deuxième source de stress des maires. Ces derniers consacrent à leur mairie entre 27 heures de leur temps, pour ceux qui travaillent en parallèle de leur mandat d’élu – et 37 heures –pour ceux qui sont à la retraite. Pour ceux qui sont en activité et travaillent en moyenne 35 heures, plus 27 heures pour leur fonction d’élu, soit 62 heures au total, on peut s’interroger sur le temps qu’il leur reste pour leur vie personnelle !

Enfin, troisième difficulté, le souci du budget. Les maires sont des entrepreneurs « de situation » qui vivent par leur projet et ont un sens du budget équilibré. En revanche, contrairement à ce que l’on peut lire ou entendre dans les médias, la montée de la violence envers les élus locaux n’est pas la première source de stress. Les agressions et les menaces n’apparaissent qu’en huitième position dans notre stressomètre.

A l’inverse, quelles sont leurs sources de satisfaction ?

Elles sont nombreuses, fort heureusement. Ce qui satisfait le plus les maires, c’est le fait de voir aboutir un projet. En collectant leurs verbatims, nous avons vu que la notion de projet était centrale dans la vie d’un maire. A noter que 80% d’entre eux se considèrent comme des entrepreneurs. Autre source de satisfaction, la célébration d’heureux événements familiaux. Les maires incarnent quelque chose qui les transcende, la République. Lorsqu’ils mettent leur écharpe bleu/blanc/rouge en bandoulière, ils sont en quelque sorte comme les prêtres qui vont célébrer une cérémonie. Ils incarnent une part de sacré. Ils ont un pouvoir de représentation qui relève du sacerdotal. De la même manière, ils gèrent une gouvernance, le conseil municipal, et du personnel, les agents municipaux. La vie d’un maire est plus riche que celle d’un chef d’entreprise, les élus devant gérer les mariages, les enterrements, les catastrophes naturelles, les problématiques d’urbanisme, de conflits de voisinage, les relations avec la préfecture et la municipalité, gérer le droit public… La liste est infinie. Extrêmement engagés dans leur fonction, les maires ont un rapport vocationnel à leur fonction. Ce sont des gens extrêmement méritants, très investis dans ce qu’ils font et qui ont le sentiment de servir une cause supérieure, qui les porte et les protège, ce sentiment vocationnel du service aux autres. Ils supportent de lourds sacrifices que parce ce qu’ils ont chevillé au corps cette vocation et ce sens de l’intérêt général.

Quelle suite va être donnée à cette étude ?

Amarok va dans un premier temps expérimenter le stressomètre et le satisfactomètre auprès de certains maires volontaires. Ils pourront s’autoévaluer. S’ils atteignent un niveau d’épuisement sévère, nous déclencherons une alerte. Si cette expérimentation s’avère probante, nous la généraliserons à tout le territoire pour devenir le premier observatoire des risques psycho-sociaux des maires. A terme, nous souhaitons mettre en place un dispositif santé pour l’intégralité des élus locaux, afin d’identifier tous les stresseurs et tous les satisfacteurs.


*Etude menée auprès de 1 700 élus de France des communes de moins de 10 000 habitants, soit une couverture de 97,3% de la population des maires

Propos recueillis par Charlotte DE SAINTIGNON