Cap sur la finance à impact
La "finance à impact" qui vise à concilier rentabilité financière et impacts sociaux et sociétaux, ne pèse pour l'instant que 5 milliards d'euros. Bercy souhaite faire de la France le leader dans ce domaine.
Les critères extra-financiers (environnement, social...), nouvelle frontière du capital investissement ? Le 25 mars dernier, à Bercy, se tenait un webinaire « la finance à impact, effet de mode ou tendance de fond de la finance durable ? ». Pour l'instant, ce type d'investissements ne représente qu'une goutte d'eau : 5 milliards d'euros environ. Il se situe dans la lignée de la finance responsable, qui passe par exemple par l'ISR, Investissement socialement responsable. Il s'agit de « mettre la finance au service du bien commun », a plaidé Bruno Le Maire, ministre de l’Économie. Partant, Bercy voudrait faire de la place financière de Paris un leader sur ce marché.
Parmi les participants au webinaire, figurait une palette d'acteurs assez divers ( investisseurs institutionnels, fonds d'investissements classiques...) aux priorités variables. Ceux qualifiés d'« Impact first » visent avant tout un impact social ou environnemental. D'autres entendent conjuguer recherche d'impact et rentabilité financière. Pour développer ce marché, il est nécessaire de disposer un cadre et une définition partagée de la notion d' « investissement à impact ». Une condition notamment indispensable pour éviter « l'impact washing ». Finance for Tomorrow, qui réunit l’ensemble des acteurs privés, publics et institutionnels de la Place de Paris, chapeaute cette recherche d'un cadre commun. Dans le détail, il s'agit notamment de définir précisément cette notion d'impact et les méthodologies permettant de l'évaluer. Déjà, il existe « trois piliers communs » sur lesquels s'accordent les différents acteurs du monde de la finance, estime Thierry Déau, président de Finance for Tomorrow. Premier d'entre eux, l'« l'intentionnalité » réside dans la volonté clairement définie de l'investisseur d'atteindre un impact extra-financier. Deuxième, l’« additionnalité » : il va falloir montrer que cet impact n’aurait pas été possible sans le financement ou l’investissement dans l’activité. Et enfin, troisième point, la « mesurabilité » : les « impacts » doivent être mesurables, par exemple, en émission de CO2 évitée, si tel était l'objectif visé.
Lutte contre le gaspillage alimentaire ou pour l'insertion
Plusieurs professionnels venus témoigner, confirment la pertinence de ces « trois piliers communs ». Ainsi, chez Tikehau Capital (28,5 milliards d'euros d'actifs sous gestion en 2020), « l'intentionnalité de la démarche est clé », souligne Laure Villepelet, directrice RSE. « Nous demandons aux équipes d'investissement d'identifier un problème qu'elles veulent résoudre.(…). C'est la seule façon de vraiment améliorer la sélectivité des investissements et la qualité du dialogue avec les entreprises », estime-t-elle .Tikehau Capital a ainsi travaillé avec des experts (climat, énergie...) afin d'identifier les leviers les plus importants, dans le but de monter son fond spécifiquement dédié à la transition énergétique (1 milliard d'euros). Autre exemple, Aviva, investisseur institutionnel, a développé une stratégie pour « contribuer à la résolution de problématiques sociales ou environnementales », précise Philippe Taffin, directeur des investissements. Ces derniers sont notamment dirigés vers des « start-up sociales » dont le modèle inclut des d'ambitions autres que financières. Parmi elles, 1083 réalise des vêtements en France, et travaille sur l'économie circulaire en fabriquant des jeans à partir de ceux, usagés, que leur renvoient les clients. Phenix, une application, permet de récupérer à petit prix des produits alimentaires proche d'être périmés auprès de commerçants : un outil d'aide aux budgets serrés et de lutte contre le gaspillage. Simplon propose des formations professionnalisantes, sans pré-requis de diplôme, œuvrant ainsi pour l'insertion par la formation professionnelle. Dans la démarche, au démarrage, « nous avons un niveau d'exigence très élevé pour les critères de sélection », précise Philippe Taffin. Suit un « processus très structuré » pour mesurer la réalité de l'impact atteint, par rapport aux objectifs fixés, à l'aide d'indicateurs très concrets, comme par exemple, le nombre de bénéficiaires des formations pour Simplon. Une exigence qui conduit Aviva à accompagner les porteurs de projet.
Est ce rentable financièrement ?
« L'investissement à impact » constitue aussi un prolongement logique pour les acteurs bancaires déjà engagés dans des démarches RSE, Responsabilité sociétale d'entreprise. Chez BNP Paribas, par exemple, la stratégie passe par l'évolution de ses financements et de son offre, avec trois objectifs. Tout d'abord, explique Raphaele Leroy, responsable engagement/ RSE, « financer les entrepreneurs, dans des secteurs qui vont jouer un rôle crucial » dans le changement vers une économie plus vertueuse, comme des start-up de la transition énergétique, par exemple. Le dispositif «Act for impact » est destiné à les aider à « changer d'échelle ». 2 000 entrepreneurs sociaux sont ainsi soutenus. Deuxième objectif : « accompagner la transition écologique et sociale de nos clients particuliers et entrepreneurs », poursuit Raphaele Leroy. Pour les premiers, ce sera par exemple une offre d'épargne ISR ( Investissement socialement responsable). Pour les seconds, des « crédits à impact » qui incitent les PME à s'engager sur le respect d'un impact ESG (Environnement, social et gouvernance). Troisième objectif, enfin, l'élargissement d'une « offre bancaire inclusive ». Pour Raphaele Leroy, le contexte actuel fait « qu'il n'y a jamais eu autant de compatibilité entre les deux logiques », celle du rendement financier et de l'engagement dans des sujets sociaux et environnementaux.
Le point est en effet crucial : rentabilité financière et recherche d'impact extra-financier font-ils bon ménage ? « La performance financière va être corrélée au type d'impact que l'on souhaite atteindre », prévient Laurence Laplane, directeur Impact investing, chez Amundi, ( 360 millions d'euros sous gestion, essentiellement alimenté par l'épargne salariale). Plus difficile, en effet, d'atteindre une rentabilité financière élevée avec une entreprise qui propose des logements accessibles à des personnes précaires, qu'avec une autre, engagée dans le secteur des énergies renouvelables avec un concept innovant...
L'achat, un autre levier pour une économie durable
80 % des achats de l’État labellisés « Achats responsables » d’ici fin 2022 : c'est une des propositions du rapport pour le développement du label, remis à Bercy fin mars. L'enjeu : promouvoir des pratiques plus vertueuses dans les relations entre-entreprises, ce qui permettrait, notamment, de limiter le fléau des retards de paiement.