À Rouen, la vente de livres d’occasion est un secteur en évolution

Alors que le marché des livres d’occasion est fleurissant, l’univers des bouquinistes connaît des mutations. Reportage à Rouen.

Audrey Roorda a ouvert le Bibliovore le 19 avril. La librairie de seconde main est située sur un axe passant, la rue de la République à Rouen. (© Aletheia Press / L.Péron)
Audrey Roorda a ouvert le Bibliovore le 19 avril. La librairie de seconde main est située sur un axe passant, la rue de la République à Rouen. (© Aletheia Press / L.Péron)

Depuis le 19 avril dans la rue de la République à Rouen, un nouveau concept de vente de livres a fait son apparition, « dans un cadre proche de celui d’une librairie », introduit Audrey Roorda, gérante du Blibliovore. Avec ses étagères, ses murs blancs et une vitrine laissant passer largement la lumière, le Bibliovore accueille les clients sur 50 m², en son sein y sont proposés des ouvrages de seconde main.

Autre spécificité, le mode de fonctionnement. « Nous vendons tous les livres à 3 euros, quel que soit leur format. Le lot de quatre est à 10 euros », explique la jeune femme de 26 ans. En ce qui concerne l’achat, « il se fait à un euro le kilogramme ». Toutes les thématiques sont acceptées pourvu que l’ouvrage soit en bon état, muni d’un code-barres et que son contenu ne soit pas obsolète.

Un bon démarrage pour le Bibliovore

Audrey Roorda, qui a obtenu un master de management des institutions culturelles à Sciences Po Lille en 2022, a toujours eu une appétence pour le monde des livres. « J’ai fait un stage au sein de la Librairie Albertine à New-York », poursuit-elle. Titillée par l’envie de se lancer à son compte, elle découvre le concept du Bibliovore, qui se définit comme une librairie de seconde main, créé par Valérie et Corentin Halley en 2012 à Tours. Douze ans plus tard, onze établissements ont ouvert dans toute la France. « C’est une licence de marque, je suis autonome, mais je bénéficie de l’expérience de Valérie et Corentin, ainsi que du réseau », précise la gérante. Les rayonnages sont uniquement approvisionnés par les achats locaux. « En revanche, pour débuter, j’ai acheté un fond de 8 000 livres aux fondateurs », explique la bouquiniste qui annonce autour de 800 nouveautés par semaine.

Pour ses débuts, Audrey Roorda est très satisfaite. « Les gens sont enthousiasmés, certains connaissaient déjà le Bibliovore, ils étaient impatients qu’il s’implante à Rouen ». Un engouement confirmé par les 1 500 abonnés sur sa page Facebook, le jour de l’ouverture, ainsi que par les titres récents qui défilent dans la vitrine. Alors que le marché du livre d’occasion est fleurissant (80 millions de livres d’occasion achetés en 2022, soit une hausse de 38 % en cinq ans), le Bibliovore tend à prouver qu’il n’est pas la chasse gardée des plateformes de vente en ligne.

« Les Monde Magique » se réinvente

Le Bibliovore rouennais vient ainsi s’ajouter à une longue liste de bouquineries dont certaines sont spécialisées en BD ou en livres anciens... « Quand un client me demande une référence que je n’ai pas, je l’oriente vers mes collègues, remarque d’ailleurs la jeune femme. Nous sommes complémentaires ». Pourtant, certains éprouvent quelques inquiétudes face à cette arrivée. C’est le cas de Jeremy Dupuis, installé rue Beauvoisine, depuis 2016. "Les Mondes Magiques" offrent l’atmosphère des bouquineries « à l’ancienne » qui font leur charme. Des livres rangés dans des étagères, mais aussi quelques piles au sol. Des caisses devant la devanture... On y trouve des ouvrages récents, des formats variés, dont des petits bijoux anciens (sans code-barres), ainsi que des DVD, Blu-ray et CD et il est possible d’y faire restaurer ses livres.

Jérémy Dupuis a repris, en 2016, la bouquinerie Les Mondes Magiques, située rue Beauvoisine. (© Aletheia Press / L.Péron)

« Depuis trois ans, la situation économique de la bouquinerie est difficile », introduit le gérant qui a fait appel à la solidarité de sa clientèle en 2023. Confinements, mouvement des gilets jaunes, inflation… Les coups durs se sont succédés. « Avec la crise sanitaire, les gens ont pris l’habitude d’acheter et de vendre sur le net, ils ne sont pas tous revenus », se désole le bouquiniste. Par ailleurs, les nouveautés lui échappent désormais souvent. Alors difficile pour Jeremy Dupuis de ne pas s’interroger quant au succès rencontré par le Bibliovore, qui ne semble pas confrontés aux mêmes problèmes. « C’est un concept bien trouvé, adapté à l’emplacement choisi », concède-t-il tout en regrettant l’achat au poids. « Nous vendons des livres, pas des pommes ! ».

Des consommateurs parfois imprévisibles

La problématique réside peut-être, en partie, dans le comportement, parfois incohérent, des consommateurs. « Certains clients comparent les prix sur leur téléphone et me reprochent de ne pas vendre à 0,90 centimes… » Il faut alors faire preuve de pédagogie. « Ils oublient qu’il faut ajouter des frais de port et que celui qui vend est un particulier quand je suis un professionnel ». Pourtant, ses prix sont inférieurs à ceux du Bibliovore : 2 euros le livre de poche et 5 euros le lot de trois. « La première semaine d’ouverture du Bibliovore, j’ai noté une baisse de fréquentation ». Prévoyant, le bouquiniste a pourtant opéré des changements. « En avril, j’ai simplifié ma tarification, un prix unique par format, hors cas particuliers comme les Pléiade. J’ai réaménagé ma boutique pour que tous les livres soient facilement accessibles ». Un effort important pour les beaux livres, qui étaient entre 9 euros et 18 euros, et passent tous à 5 euros.

Le prix d’achat se fait à un sixième du prix de vente. « Auparavant, c’était au tiers, mais je ne m’en sortais plus ». Jeremy Dupuis entend également se réorienter sur la vente de livres anciens plus rares. « J’ai trouvé une plateforme de vente réservée aux professionnels qui permet de garder des échanges humains avec le client et ne nous assomme pas sous les commissions », se réjouit le bouquiniste qui note des premiers effets positifs encourageants. « Nous avons notre place, nous ne devons pas disparaître » plaide Jeremy Dupuis qui veut s’adapter pour continuer à exercer un métier qu’il aime passionnément.

Pour Aletheia Press, Laetitia Brémont