Système d’information : comment accélérer l’innovation data/IA ?
Certains managers du « digital » avouent leurs limites. La fonction de CDO (chief data officer) est soit absente, soit inopérante, n’étant pas assez soutenue par la direction générale. Certaines DSI prennent-elles suffisamment en compte le décalage entre le discours et la réalité des engagements ?
La fonction de Chief Data Officer (CDO) continue de se chercher. Beaucoup d’entreprises s’en remettent à la DSI, qui reste préoccupée, à juste titre, par la bonne maintenance du système d’information, la sécurité des données – souvent au détriment de l’innovation. L’ouverture à des projets d’intelligence artificielle (IA), d’apprentissage automatique (machine learning ou deep learning) devrait être mieux considérée, au moins comme voie d’exploration en lien avec les métiers.
Plusieurs études montrent que les spécialistes en charge des données dans les organisations sont rarement à l’aise dans leur mission. L’attraction exercée par les applications d’IA, due souvent, il est vrai, aux actions marketing des fournisseurs, accentue la pression. Mais on ne progresse pas pour autant.
Pas assez soutenus par la direction générale
Beaucoup de ces managers ne se sentent pas très assurés pour lancer de tels projets qui imposent de détenir des données qualifiées, « propres », fiables et à jour. Ce qui représente un coût important. Or les engagements de leur direction, au-delà du discours, sont souvent timorés : beaucoup de dirigeants ne se comportent pas clairement comme sponsors actifs, engagés dans l’innovation avec des budgets conséquents.
Les managers IT, de la transition numérique ou de la modernisation - peu importe le nom qu’on leur donne - doivent se démener pour obtenir les investissements nécessaires, tâche d’autant plus délicate que le retour sur investissement n’est pas facile à calculer, mais il faut faire cet exercice.
Une enquête d’octobre 2021 menée par le cabinet d’études Spoking Polls et la start-tup Golem.ai, montre que 3% seulement des managers CDO (chief data officer) ou CTO (chief technology officer) ou ‘data analysts’ sont autonomes avec un budget dédié, bien défini. Les deux tiers sont soumis à l’approbation d’un processus budgétaire annuel (donc rétractable…), et 30% doivent passer sous les fourches caudines de la direction des achats.
Comme raison d’être de leurs projets data/IA, ces mêmes managers invoquent, pour 45% d’entre eux, la promesse de gains de productivité. Ce qui les oblige à déterminer des tâches cibles, limitées à des projets pilotes pour une durée de quelques semaines ou quelques mois. Leur deuxième argument, pour 26%, c’est l’automatisation des process.
Trop d’indécision sur le budget à allouer
Pour les services « métier » qui sont censés profiter de ces applications, la première motivation est celle de l’innovation : 68% d’entre eux expriment le besoin de « pistes de réflexion pour innover ». Leur seconde attente, pour 65%, sont les gains de productivité et, ensuite (pour 48%), la mise à disposition d’un outil d’analyse qui permettrait d’optimiser les process.
Pourtant, si la motivation est là, elle est très entamée par l’indécision sur les investissements à réaliser. Près de la moitié des responsables « métier » estiment que le principal frein à l’adoption d’une solution d’IA, c’est toujours son coût.
Et donc, de façon logique, on constate que 50% des managers CDO ne disposent pas de capacités techniques suffisantes pour lancer de tels projets. Le principal obstacle rencontré serait l’impossibilité d’exploiter les données « non structurées », celles qui se différencient des bases de données classiques internes à l’entreprise (en tableaux, colonnes). Or ces données non structurées, provenant du web, des contacts clients, des institutions extérieures, etc., constituent un des piliers de beaucoup d’applications d’IA. Leur volume croît très fortement jusqu’à alimenter ces fameux « data lakes » (lacs de données), parfois redoutés car vite ingérables, inexploitables si certaines méthodes et outils ne sont pas utilisés assez tôt.
54% des managers data ou infrastructure IT déclarent qu’il leur est techniquement impossible d’exploiter ce type de données non structurées. Pire encore : 21% (ceux de l’infrastructure informatique, très majoritairement) considèrent que les données non structurées sont hors de leur périmètre…
Bref, on tourne en rond… Résultat : un quart seulement des managers informatiques ont commencé un projet data/IA ou vont s’y mettre.
Quelques axes à explorer
Pour avancer et débloquer la situation, il est recommandé d’obtenir l’aval de la direction générale sur au moins un projet clé (ou deux), budgété pour une durée d’un à deux ans minimum, avec un phase pilote suivi d’une « mise à l’échelle ».
Il faut se concerter en petits ateliers pluridisciplinaires, en s’imprégnant de la culture ‘data’ autour d’un ou deux chefs de file (CDO ou CTO, au-delà des « systèmes ») et en réalisant du « design thinking » : comment peut-on concrètement transformer le métier, les process ?
Cela signifie un changement d’état d’esprit : se mettre autour de la table, rapprocher l’informatique et le métier, en alignant toutes les ressources disponibles, internes, externes (ressources sur le Cloud, par exemple, payées à l’usage). Il faut accepter d’avancer en apprenant – et la formation reste primordiale – en se tournant vers des partenaires, des mentors, des pairs ou même des start-up spécialisées par projet, à défaut de pouvoir recruter des experts ‘data-scientists’, par exemple. Et beaucoup d’institutions, comme Numeum (fusion de Syntec Numérique + Tech In France) peuvent y contribuer. Car il est inutile de vouloir tout réinventer.
Pierre MANGIN