« La santé mentale coûte 3 000 euros par an et par salarié aux entreprises »
Teale, la plateforme dédiée à la santé mentale pour les collaborateurs et les entreprises, dévoile les résultats de son premier baromètre de la santé mentale des salariés en France, réalisé sur un échantillon de 10 000 salariés. Geoffroy Verzat, co-fondateur et COO de Teale, en évoque les résultats, qu’il juge assez inquiétants.
Quels sont les principaux enseignements de ce premier baromètre sur la santé mentale des salariés ?
Près d’un salarié sur deux estime ne pas avoir un niveau de stress gérable au travail et 23% sont dans un état de santé mentale critique ou à risque de dépression. Le baromètre révèle qu’un salarié sur trois envisage même de quitter leur entreprise pour préserver sa santé mentale. 39% ne sont pas satisfaits de leur équilibre vie professionnelle et vie personnelle, estimant que leur vie professionnelle empiète trop sur leur vie personnelle et que leur charge mentale professionnelle impacte leur santé morale personnelle. Nous n’avons pas deux santés mentales. De ce fait, lorsque la charge mentale est trop importante au travail, la vie personnelle du salarié est impactée et l’inverse est également vrai : lorsque le salarié a un problème d’ordre personnel, cela peut l’impacter dans son travail.
Pour Teale, la santé mentale est aussi importante que la santé physique ?
Le Covid a mis un coup de projecteur sur la problématique de la santé mentale. Lorsque l’on parle de santé mentale, on ne doit pas penser uniquement aux maladies, aux situations de burn-out ou de dépression. Il ne faut pas oublier le volet préventif. L’objectif est de faire prendre conscience qu’il faut prendre soin de sa santé mentale, au même titre que l’on a réalisé qu’il fallait faire attention à sa santé physique et à son hygiène de vie. Nous voulons faire de la pédagogie sur le sujet et casser les tabous. Si prendre soin de sa santé physique est bien ancré dans les habitudes, à l’inverse, la santé mentale recueille encore beaucoup de peurs et d’idées reçues, alors qu’il n’y a pas de raison de la traiter différemment. Il faut pouvoir en parler. En ce sens, la définition donnée par l'OMS [Organisation mondiale de la santé], qui caractérise la santé mentale comme un « état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d'être en mesure d'apporter une contribution à la communauté » est particulièrement positive. On voit que les entreprises qui appréhendent la santé mentale arrivent à de meilleurs résultats financiers et à une meilleure productivité. D’un point de vue économique, elles ont donc tout intérêt à traiter le sujet.
Vous avez justement défini le coût d’une mauvaise gestion de la santé mentale dans les entreprises ?
La santé mentale a un coût à la fois organisationnel et en termes de productivité très important. Nous avons, en effet, noté que le coût de la santé mentale augmente drastiquement. On l’estime au niveau national à 3 000 €, par an et par salarié. C’est-à-dire qu’une entreprise de 1 000 salariés dépense chaque année trois millions d’euros du fait des conséquences négatives de la santé mentale de ses équipes. Cela reste un chiffre global, qui varie entre 1 000 et 5 000 €, par an et par salarié, en fonction du secteur d’activité, du contexte de l’entreprise et de l’âge moyen des équipes. Les troubles liés à la santé mentale constituent la première cause d’absentéisme (22% des arrêts maladie), mais aussi la première cause de départs non souhaités.
Quels sont les principaux facteurs qui aggravent la santé mentale des salariés ?
Le facteur le plus impactant sur la santé mentale des salariés est la qualité des relations sociales dans l’entreprise. Deuxième facteur aggravant, le manque de reconnaissance de la part des managers et des pairs – parmi les salariés ayant pensé à quitter leur entreprise pour des raisons liées à leur santé mentale, 56% n’ont pas le sentiment d’être reconnus au travail. Le salarié doit sentir qu’il a un impact dans l’entreprise et dans son équipe. Viennent ensuite d’autres facteurs, comme le manque de motivation, le manque d’évolution professionnelle ou de développement des compétences, le non-alignement avec les valeurs de l’entreprise, le sentiment de ne pas être aidé par ses pairs ou encore de ne pas être respecté. Tous ces éléments concourent à une mauvaise santé mentale chez les salariés et en expliquent le coût.
Quelles sont les actions que peuvent mener les entreprises pour agir concrètement sur la prévention?
Les entreprises doivent arrêter de traiter la santé mentale comme une variable d’ajustement. En cas de dégradation de sa situation économique, l’entreprise va couper tout ce qui est lié au bien-être des salariés pour s’attacher à la production et à la productivité. Or la santé n’est pas un « nice to have » mais bien un « must have », soit un élément « business » qui doit être traité comme un pilier stratégique pour la productivité et la compétitivité de l’entreprise. Elles peuvent commencer par mesurer l’impact de la santé mentale. Mais elles doivent surtout se transformer, transformer leur culture et leurs méthodes de management en interne pour ne plus être une source de dégradation de santé mentale. On recommande, au niveau collectif, de partager du sens avec les collaborateurs soit, au-delà de fixer des objectifs, de donner du sens et de montrer l’impact de ces objectifs ; d’adopter la culture d’un feed-back qui soit à la fois franc et bienveillant ; de développer une culture du management juste et transparente, et une communication sociale bénéfique pour les salariés. Et enfin d’encourager la culture de la reconnaissance pour que les salariés se sentent à la fois reconnus et valorisés. Les entreprises doivent également les accompagner au niveau individuel et prendre en compte leur situation personnelle.
Propos recueillis par Charlotte DE SAINTIGNON