Economie

L’économie chinoise : un dragon aux pieds d’argile ?

En proie à une déflation larvée, une crise massive dans le secteur immobilier et à un ralentissement de la demande intérieure, la Chine cherche à écouler à tout prix sa surproduction, quitte à laminer l’industrie européenne…

(© Adobe Stock)
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Afin de fêter le 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre Paris et Pékin, le président chinois, Xi Jinping, s'est rendu en visite officielle en France, les 6 et 7 mai. En amont, le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, avait rencontré son homologue chinois dans l’espoir d’aplanir les différends diplomatiques et commerciaux. En vain. La Chine, pour répondre à ses problèmes économiques structurels graves, a en effet préféré s’engager dans une stratégie non coopérative, croisant le fer tant avec les États-Unis qu’avec l’Union européenne (UE).

Graves problèmes économiques structurels

Longtemps perçue comme l’économie la plus dynamique du monde, la Chine doit désormais se contenter d’une croissance bien modeste. L’annonce d’une expansion économique de 5,3 % au premier trimestre 2024 a, certes, agréablement surpris les experts, mais quel crédit accorder à la statistique officielle chinoise, tout aussi inféodée au pouvoir politique qu’une grande partie des médias ? Divers indicateurs indirects laissent cependant penser que la croissance est réellement en berne, bien loin des 6 à 8 % qui permettaient au gouvernement central d’acheter pour un temps (encore) le calme social.

Assurément, l’économie chinoise a encore bien du mal à se remettre des trois années de pandémie, durant lesquelles le gouvernement central avait placé le pays sous cloche. Mais, surtout, les anciens problèmes n’ont pas disparu. En particulier, le chômage des jeunes demeure massif — même chez les très diplômés —, malgré les pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs, dont l’industrie. Les conditions de travail ne font visiblement pas rêver la jeune génération, dans un pays où le vieillissement démographique pèsera inévitablement sur les capacités de production et sur la productivité du travail.

Autre faille (faillite ?) structurelle, le secteur de l’immobilier, qui s’enfonce toujours un peu plus dans la crise, malgré les aides massives mises en place par le pouvoir politique central, notamment après la faillite spectaculaire du promoteur immobilier Evergrande. Un nettoyage de fond en comble des écuries d’Augias s’impose, tant dans l’immobilier que dans la finance au vu du taux d’endettement total du pays.

Surproduction chinoise

L’un dans l’autre, la Chine se retrouve ainsi confrontée à un ralentissement structurel de sa demande intérieure, qui conduit à une déflation larvée, dans un contexte géopolitique tendu. Malgré cela, le régime chinois se refuse à soutenir la consommation. Il préfère subventionner ses usines dans le but de devenir autonome dans des secteurs clés (semi-conducteurs, véhicules électriques…), même si inévitablement, les fonds publics finissent par subventionner également des secteurs beaucoup moins stratégiques, comme la sidérurgie, les engrais, etc. La Chine se retrouve ainsi en surcapacité de production et, face à l’impossibilité d’écouler ses marchandises sur son sol, se tourne vers les marchés internationaux.

Au moyen de subsides publics, qui les protègent de facto de la faillite, les entreprises chinoises sont dorénavant capables de proposer des biens de bonne qualité à des prix très compétitifs. Tout l’enjeu est alors de les écouler à l’étranger, quitte pour cela à mener une politique de prix prédatrice. Les panneaux solaires en sont devenus l’archétype, la Chine ayant écrasé la concurrence au sein de l’UE en dominant toute la chaîne de valeur du produit et en vendant à des prix bien plus bas que les fabricants européens.

Quant à la sidérurgie, la Chine ne s’intéresse plus tellement à l’exportation de produits issus de ses laminoirs, mais plutôt aux produits transformés à plus forte valeur ajoutée, comme les voitures électriques et autres biens liés à la transition écologique dont l’UE a besoin. La Chine était déjà depuis longtemps la base arrière de tous les grands constructeurs automobiles mondiaux, mais elle cherche à présent à s’imposer avec ses propres marques, thermiques et plus récemment électriques. Sur ce marché, les importations européennes de voitures électriques aux noms inconnus jusqu’à lors (BYD, MG…) ont connu un décollage fulgurant en cinq ans, finissant par inquiéter la Commission européenne lorsqu’elle a compris — bien plus tardivement que les États-Unis — l’avance des constructeurs chinois, ces derniers maîtrisant parfaitement toute la chaîne de valeurs (métaux, processus technologiques, batteries…). Et l’on pourrait dire la même chose dans la chimie, la production pharmaceutique, etc.

Face au risque de faillites en cascade des entreprises européennes, la Commission a ouvert plusieurs enquêtes sur les aides publiques dont bénéficient les entreprises chinoises. Mais, difficile de froisser la susceptibilité d’un dragon, certes aux pieds d’argile, mais dont l’UE dépend tant sur le plan économique. Qu’on en juge : sur la décennie écoulée, le déficit commercial de l’UE vis-à-vis de la Chine a quasiment triplé, en particulier pour les machines et véhicules !

Raphaël DIDIER